o Éditorial : Piscines en fraude

Nonobstant leur réputation, les Français ne semblent pas être de si grands fraudeurs à l’égard du fisc. Ainsi une expérimentation de la direction générale des finances publiques (DGFiP), visant à détecter les piscines privées non déclarées, n’en a trouvé que 20 000 dans neuf départements, soit 5,7 % de toutes les piscines privées de ces territoires. À titre de comparaison, quand la Grèce a instauré une taxe sur les piscines privées, il n’y avait eu au Pirée que deux propriétaires sur les 150 000 habitants à se manifester spontanément, alors que les photos aériennes révélaient des bassins dans la quasi-totalité des jardins. Les départements français où cette obligation est le mieux respectée, parmi ceux qui ont été étudiés, sont les Alpes-Maritimes (2,6 % de fraudeurs) et le Var (3,8 %). Les mauvais élèves sont le Morbihan (8,2 %) et surtout l’Ardèche (12,8 %).

Une piscine doit être déclarée dès lors qu’elle constitue un élément bâti au sens de l’article 1380 du code général des impôts (CGI). Selon le Conseil d’État (CE, 13 avr. 2016, n376959, tab. Lebon), cela inclut par exemple une piscine acquise en kit de panneaux de bois et ne comportant pas d’éléments de maçonnerie, dès lors qu’elle est semi-enterrée, que son installation a exigé des travaux de terrassement, et que la requérante n’établit, ni qu’elle ne comporte aucun dispositif de fixation particulier, ni qu’elle pourrait être aisément déplacée sans être démolie ni détériorée, même si elle est démontable. Une piscine qui constitue un élément bâti est assujettie à la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB). Dans le cadre de cette expérimentation, il en a résulté pour 2022 un supplément de taxe de 200  par piscine en moyenne, soit 4,1 M au total, à quoi se sont ajoutés 5,6 M de rappels pour les années précédentes.

Très fière de ce succès, la DGFiP a vanté l’efficacité de son dispositif de contrôle, qui repose sur ce qu’on appelle un peu vite l’intelligence artificielle. Une application dédiée, fournie par Google et Capgemini pour la modique somme de 24 M, détecte les piscines sur des photos aériennes de l’IGN, y compris les bassins protégés par une couverture ou un abri, puis elle localise chaque bassin sur le plan cadastral. Son travail s’arrête là : elle passe ensuite la main à des agents du fisc, qui contrôlent l’exactitude de ses résultats, parcelle par parcelle, et qui vérifient si chaque piscine a été déclarée ou non.

L’analyse des photos aériennes est un art difficile, comme je l’ai constaté durant mon service militaire. Elle repose sur des spécialistes capables d’interpréter au premier coup d’œil des détails qui ne signifient rien pour un profane, et de retracer l’histoire d’une zone en comparant deux clichés successifs. Même à l’armée, l’intelligence artificielle ne sert qu’à faciliter le travail de ces virtuoses, pas à s’y substituer, sous peine de confondre des bidons vides avec des armes de destruction massive. Les analystes de la DGFiP restent tout aussi indispensables, car le taux de faux positifs s’est révélé élevé lors de l’expérimentation : 30 % dans les Bouches-du-Rhône, selon BFM TV, et jusqu’à 80 % dans un autre département. Une fois de plus, l’intelligence artificielle se révèle assez bête.

On peut donc douter que ce dispositif, intitulé « Foncier innovant », aboutisse avant longtemps à des réductions d’effectifs, comme le craint le syndicat CGT-Finances publiques des Bouches-du-Rhône. C’est d’autant moins probable qu’il va être généralisé à tout le territoire métropolitain, où l’on recense environ 3 millions de piscines privées. Les grands argentiers de l’État en espèrent déjà une hausse substantielle des rentrées de TFPB au profit des collectivités locales : si le taux de fraude reste le même, il en résultera une manne d’environ 40 M par an. Et par la suite, le dispositif pourra être étendu à d’autres éléments annexes, comme les vérandas et les abris de jardin.

René-Martin Simonnet

Retour