Éditorial : Prendre son temps

Tous les acteurs de l’eau le savent : ce domaine demande du temps. Du temps d’abord pour bien gérer les milieux aquatiques, et surtout pour les améliorer. Si les effets d’une pollution grave se font sentir en quelques jours, sa réparation peut demander des années. La pollution du Rhin par l’usine Sandoz, le 1er novembre 1986, a quasiment tué toute vie sur les cent kilomètres du fleuve en aval, et il a fallu plus de dix ans pour que les anguilles, revenues au bout de quelques années, soient à nouveau consommables.

Or le Rhin est un grand fleuve, au débit puissant, et sa convalescence a été accélérée par un programme spécifique, doté d’un financement considérable. La plupart des milieux aquatiques pollués n’ont pas cette chance. Il faut beaucoup plus de temps pour en améliorer la qualité, notamment pour répondre aux objectifs de la directive-cadre sur l’eau (DCE). Pour l’ensemble de la France, on constate que le taux de masses d’eau en bon ou très bon état gagne en moyenne un point par an. C’est moins une question de financement que de délai nécessaire à la nature pour se réparer. Il ne suffit pas de relâcher des tonnes d’alevins : il faut attendre que la totalité de l’écosystème retrouve sa vitalité, en commençant par la microbiologie et les plantes aquatiques. Souvent aussi, il faut que les sédiments relarguent les polluants qu’ils contiennent. Et les étiages ralentissent ces évolutions. Cela démontre bien que le calendrier initial de la DCE était irréaliste.

Un autre point qui demande du temps, c’est le facteur humain. Que ce soit pour gérer les milieux aquatiques ou pour partager l’eau, il faut négocier des compromis, formaliser des accords, éventuellement les ajuster à la lumière des premiers résultats. Les commissions locales de l’eau, les comités de bassin et, à la marge, le Comité national de l’eau sont des instances où l’on discute avec passion et où l’on avance lentement. Lorsqu’une partie prenante, en général l’État, impose son point de vue, on constate souvent qu’il ne parvient à rien de solide ni de durable. Si toute la France n’est pas couverte par des schémas d’aménagement et de gestion des eaux, plus de trente ans après la loi de 1992, ce n’est pas dû à la lenteur des procédures, mais à la difficulté à s’accorder sur des compromis locaux.

Hélas, nous sommes censés vivre depuis six ans dans une start-up nation, où toute la politique serait menée en mode projet : le sommet décide, les niveaux inférieurs appliquent dare-dare et les résultats arrivent sans retard. On a bien vu cette obsession de la précipitation dans le plan Eau : chaque mesure était assortie d’une échéance à respecter, le plus souvent dans les deux ans qui suivaient. C’est un excellent moyen pour bouleverser les routines administratives, mais c’est inefficace et absurde si l’on imagine que les milieux aquatiques obéiront aux échéanciers politiques ou que les divers acteurs de l’eau vont se mettre au garde-à-vous et bâcler les négociations qu’ils ont pour mission de conduire à leur terme.

Cette précipitation explique le relatif échec des projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) : beaucoup ont été bouclés en vitesse, sous la pression de préfets tenus de présenter des résultats rapides. Pour gagner du temps, ils se sont fondés sur des projets déjà structurés, portés par certains acteurs de l’eau bien organisés. Or ce n’est faire offense à personne que de relever que le monde agricole est très efficace pour présenter des projets bien carrés, tandis que les élus locaux s’intéressent en priorité à leur propre territoire, et que les défenseurs de l’environnement ont toutes les peines du monde à s’accorder sur quoi que ce soit.

Ainsi beaucoup de PTGE se sont contentés de retoucher à la marge des plans d’irrigation déjà tout prêts, alors que ces projets sont censés être élaborés en commun par toutes les parties prenantes. D’où des annulations en cascade, et l’obligation de repartir à zéro, en prenant cette fois le temps nécessaire pour élaborer un vrai projet commun. Si l’on avait laissé aux intéressés tous les délais indispensables pour rapprocher leurs points de vue, au lieu de les braquer, on aurait gagné du temps.

René-Martin Simonnet

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