Éditorial : Réflexion aboutie

Créée pour contrôler les comptes publics, et notamment la réalité et la sincérité des dépenses publiques, la Cour des comptes donne souvent son avis sur l’opportunité de ces dépenses, et donc sur la pertinence des politiques publiques, même dans des domaines très techniques qui échappent aux compétences du magistrat moyen. C’est ainsi que, tous les six ans, elle rend un rapport sur le programme achevé des agences de l’eau. Jusqu’à présent, elle concluait invariablement que les agences avaient échoué à remplir leurs missions… tout en se montrant incapable d’énumérer ces missions. Elle semble pourtant en train d’évoluer à ce sujet. En revanche, ses déclinaisons locales, les chambres régionales ou territoriales des comptes (CRC), sont beaucoup plus méticuleuses quand elles abordent le domaine de l’eau. Sous la houlette de celle de la Bretagne, elles rendent ainsi des rapports très utiles, à l’issue d’un travail conjoint.

Ce mode opératoire a été de nouveau adopté pour le dernier rapport public thématique sur l’eau, dont la Cour a assuré la coordination sans prétendre tenir la plume des magistrats régionaux. Publié le mois dernier, après un résumé dans le rapport public annuel de mars 2023, ce document annonce qu’il porte sur les exercices 2016 à 2022 (voir l'article suivant). Mais en réalité, les rapporteurs ont dû remonter plus loin dans le passé pour trouver des informations capitales, tant la politique de l’eau a été délaissée par l’État entre 2012 et 2020. Par exemple, la dernière évaluation globale des dépenses consacrées à la politique de l’eau remonte à l’édition 2015 des comptes de l’environnement publiés par le ministère chargé de l’environnement ; et elle est évidemment fondée sur des données plus anciennes. De toute façon, les données sur l’eau sont disparates et varient en fonction de l’organisme qui les produit, comme le déplorent les rapporteurs au sujet des informations portant sur les prélèvements.

Pour une fois, les magistrats des comptes semblent avoir saisi presque toute la complexité de la politique de l’eau, qui ne peut pas se décréter du haut de l’État, tant elle dépend des acteurs locaux. Il leur reste encore à appréhender le rôle de la négociation dans cette politique. Les acteurs de l’eau savent d’expérience que le partage est fondamental pour gérer et économiser la ressource en eau, et qu’il doit être négocié en fonction des circonstances locales et du poids relatif de chaque catégorie d’acteur. C’est pourquoi cette politique nécessite des instances de concertation à tous les niveaux, et la Cour des comptes est un peu perplexe devant les pouvoirs de décision et de gestion attribués à ces organismes. Toutefois, elle demande un renforcement des moyens et des pouvoirs des comités de bassin et des agences de l’eau, ce qui est bon signe.

Les rapporteurs ont aussi résisté à la tentation de désigner des coupables, même s’ils n’hésitent pas à dénoncer des mauvaises décisions et des erreurs de gestion au cas par cas. Sans doute sous l’influence des CRC, ils ont compris l’imbrication entre les différentes strates de la politique de l’eau. Ils regrettent une fois de plus le foisonnement d’organismes impliqués, mais ils ont renoncé à réclamer une simplification radicale. L’expérience montre qu’en matière d’eau, les petites économies d’administration qui résultent des réformes rigides ne compensent pas les surcoûts de gestion qu’elles provoquent sur le terrain. C’est donc à l’État de dessiner l’organisation la plus efficace possible, mais c’est aux acteurs de l’eau de l’adapter localement, tout en respectant son esprit. En cas de dérive, il faut alors déterminer la responsabilité de chacun de ces niveaux. En fin de compte, le présent rapport critique plus l’État que ses opérateurs spécialisés et les autres gestionnaires. C’est le signe d’une réflexion aboutie.

René-Martin Simonnet

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