Éditorial : Vivre sans eau

Si vous envisagez d’aller en vacances sur la Lune, vous aurez intérêt à emporter une très grosse bouteille d’eau, voire un peu plus. Et à signer un très gros chèque, parce que son transport vous coûtera nettement plus cher que l’eau de votre robinet. Le logisticien DHL a déjà publié une grille tarifaire pour transporter des colis sur la Lune : la boîte d’un pouce cube vous sera facturée 1 660 $ pour un aller simple, soit 101 300 $ le litre, 93 200  au cours actuel du dollar.

On comprend pourquoi toutes les agences spatiales cherchent fébrilement les réserves de glace d’eau qu’elles espèrent pouvoir exploiter au pôle sud lunaire, et pourquoi elles développent des systèmes de recyclage poussé de l’eau. Pourtant, l’humanité a déjà été capable de vivre durablement dans des déserts totalement arides, certes sur Terre, mais en mettant en place des systèmes d’approvisionnement en eau adaptés à plusieurs centaines de personnes. En voici deux exemples, très différents mais pas tant que ça.

Les ruines du village appelé de nos jours Deir-el-Médineh se dressent toujours dans le désert égyptien, à environ 5 km à l’ouest du Nil. On n’y trouve ni source ni puits, ni même de citerne puisqu’il n’y pleut jamais. Et pourtant, on estime que sa population a atteint 1 200 personnes sous le règne du pharaon Ramsès IV, vers 1200 av. J.-C. Durant plusieurs siècles, il hébergea les ouvriers hautement qualifiés qui creusaient et décoraient les tombes royales, ainsi que leurs familles. Astreints au secret absolu sur leur activité, pour éviter le pillage de ces trésors enterrés, ils naissaient, vivaient, se mariaient et mouraient à Deir-el-Médineh, quasiment sans contact avec les autres Égyptiens. Pour leur fournir tout ce qu’il leur fallait pour vivre et travailler, un service spécial payé sur le budget du Pharaon leur assurait une livraison quotidienne, notamment des jarres d’eau transportées à dos d’âne ou sur la tête de porteuses. Lorsque ce service fut désorganisé, sous Ramsès III, il en résulta le premier mouvement social connu.

On retrouve beaucoup de traits similaires dans le village de Kolmanskop, en Namibie, construit de toutes pièces voici un peu plus d’un siècle, en 1908. Là aussi, des familles se sont installées dans le désert pour creuser le sol, mais c’était pour extraire des diamants. La pluviométrie moyenne y est inférieure à 20 mm/an, et pourtant il y eut jusqu’à 1 100 habitants avant l’abandon du site, vers 1960.

Au début, l’eau était importée depuis Le Cap, à plus de 1 000 km de distance, mais par bateau-citerne et non plus à dos d’âne. Par la suite, une usine de dessalement fut construite dans la ville portuaire voisine de Lüderitz, et l’eau fut livrée à Kolmanskop par une canalisation de 10 km. Toutefois, le litre d’eau coûtait 5 pfennigs, contre 10 pfennigs pour le litre de bière. Ce qui n’empêcha pas la compagnie minière de construire une piscine et une fabrique de glace pour la population, sans doute les premières de Namibie. Comme Deir-el-Médineh, le village abandonné de Kolmanskop est devenu une destination touristique. Peut-être en sera-t-il un jour de même pour la première station lunaire ?

René-Martin Simonnet

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