Rivières et réseaux

Deux passages de la déclaration de politique générale de Jean Castex, le 15 juillet à l’Assemblée nationale, sont passés à peu près inaperçus, à tel point que, deux heures plus tard à la même tribune, Jean-Luc Mélenchon (Bouches-du-Rhône, FI) lui a reproché de n’avoir pas abordé ce sujet ; preuve qu’on peut être à la fois démagogue et inattentif.

Le Premier ministre a pourtant déclaré : « Nous soutiendrons les investissements des collectivités territoriales orientés vers le développement durable et l’aménagement du territoire. Nous accélérerons en particulier tous les projets consacrés aux réseaux, qui permettent de structurer et de développer ces territoires : […] modernisation des réseaux d’eau et d’assainissement […]. » Et un peu plus tard : « D’ici à la fin de 2021, nous souhaitons que tous les territoires – j’y insiste – soient dotés de contrats de développement écologique avec des plans d’action concrets, chiffrés, mesurables, […] du nettoiement des rivières aux économies d’eau […]. Les élus, les forces vives et les citoyens seront les acteurs de ces contrats territoriaux, dont l’État sera partenaire et financeur. »

Le « nettoiement des rivières » est un concept assez imprécis. S’il s’agit juste d’enlever des déchets lors d’opérations Rivière propre, il n’y a pas besoin d’aides de l’État ni de contrats de développement écologique, comme l’a rappelé vertement Damien Abad (Ain, LR) : « Personne ne vous a attendu pour procéder au nettoyage des rivières. » Mais le Premier ministre a sans doute voulu évoquer des chantiers plus coûteux, comme la dépollution de l’Orbiel à Salsigne (Aude) ou la renaturation des cours d’eau dans la logique de la directive-cadre sur l’eau. Pour cela, en effet, l’aide de l’État est nécessaire, surtout si l’on veut parvenir à respecter autant que possible l’échéance de 2027. Notons toutefois que cette aide est déjà apportée par les agences de l’eau, et qu’il suffirait de supprimer le plafond mordant sur leurs recettes pour qu’elles puissent financer tous les contrats qu’on voudra leur faire signer. Jean Castex le fera-t-il ?

La modernisation des réseaux d’eau et d’assainissement, en particulier pour réduire les fuites, est à l’inverse un concept très clair. Mais selon les principes généraux du droit public, l’État ne peut subventionner que le réseau initial, pas sa réfection : la collectivité propriétaire doit intégrer dans le prix de l’eau le coût de la maintenance et du renouvellement des installations, comme pour tout équipement affecté à un service public industriel et commercial. Des dérogations ne sont possibles que dans des cas particuliers : catastrophe naturelle, service en faillite, département d’outre-mer, etc.

Les assises de l’eau avaient tenté de bousculer ce vieux principe : c’est même dans ce but qu’elles avaient été convoquées à l’origine. Ce qu’elles ont décidé dans ce domaine était assez ambitieux : 2 Md d’aides des agences de l’eau pour les réseaux ruraux, 2 Md d’aquaprêts à taux bonifié de la Caisse des dépôts et consignations, 1,5 Md de subventions pour mettre en place des contrats de progrès, 1 Md d’autres aides des agences de l’eau, etc., le tout d’ici à 2024. En théorie, le tiers de ces aides devrait déjà être attribué ou dépensé. En pratique, l’état d’urgence sanitaire et la proximité des élections municipales ont fortement ralenti ce mouvement.

Le nouveau Premier ministre propose désormais un nouvel outil, le contrat de développement écologique, pour relancer la machine. On verra bien s’il y parvient. Pour l’instant, en tout cas, les gestionnaires locaux de l’eau s’occupent surtout des conséquences de l’épidémie en cours, et en particulier de l’obligation d’hygiéniser les boues d’épuration avant épandage. La modernisation des réseaux ne semble pas être leur priorité immédiate.

René-Martin Simonnet

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