o 30 filtres pour l’ANC (pour commencer)

Le filtre à broyat de bois est un accessoire habituel des toilettes sèches, mais il n’est pas encore autorisé en France. Pour en étudier l’efficacité et les nuisances éventuelles, une expérimentation est lancée durant cinq ans. Ensuite, on verra.

Dans le petit cycle de l’eau, il y a un domaine à part, celui de l’assainissement non collectif (ANC). Et dans ce domaine, il y a encore une catégorie à part, celle des toilettes sèches, dont les usagers, disons plutôt les adeptes, ne se mélangent pas avec les usagers ordinaires de l’ANC.

Cette technique a l’avantage d’utiliser peu ou pas du tout d’eau, tout en transformant en compost ce qui sort des toilettes, et qui peut ainsi retourner directement à la terre sans pollution ni risque sanitaire, du moins en théorie. La réglementation actuelle de l’ANC lui a consacré un article et quelques alinéas, sur l’insistance de Penelope Fillon, alors épouse du Premier ministre, et désormais plus célèbre pour ses démêlés avec la justice. Auparavant, la France ne reconnaissait pas les toilettes sèches comme un mode d’assainissement.

Rien jusqu’à présent pour le traitement des eaux ménagères

Il y a tout de même un sérieux problème avec les textes en vigueur, essentiellement un arrêté du 7 septembre 2009 : ils reconnaissent bien la spécificité des toilettes sèches elles-mêmes, mais ils ne prévoient rien de particulier pour le traitement en parallèle des autres eaux usées d’un logement, celles qu’on appelle les eaux ménagères.

En théorie, il faut les envoyer dans une installation d’ANC classique, ce qui aboutit au paradoxe de faire payer plus cher les adeptes des toilettes sèches que les autres usagers. En outre, ces filières classiques ne sont pas conçues pour traiter uniquement des eaux ménagères, peu chargées en matières organiques. Il existe bien des techniques de traitement adaptées à ces effluents, mais elles ne sont pas autorisées par la réglementation actuelle. En théorie, on ne peut les mettre en œuvre qu’avec une dérogation accordée par l’autorité sanitaire compétente. En pratique, le service public de l’assainissement non collectif (Spanc) fait souvent preuve d’une certaine tolérance ; mais on se trouve ainsi à la limite de l’interdit.

Donner une base juridique au filtre à broyat de bois

Le Réseau de l’assainissement écologique (RAE), une association qui milite pour le développement des toilettes sèches, voudrait bien sortir de cette zone de non-droit et obtenir la reconnaissance de la technique de traitement des eaux ménagères la plus courante : le filtre à broyat de bois (FBB). Il a donc déposé un dossier dans le cadre du dispositif France expérimentation.

Cela se traduit par le présent arrêté qui suit de près un avis rendu le 6 août 2021 par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). La rédaction de ce texte prudent a donc pris près de deux ans. Les conditions de la présente expérimentation sont tout aussi prudentes : elle ne pourra porter que sur 30 installations, et elle est prévue pour durer cinq ans. Ensuite, on verra.

Traiter les eaux ménagères, les urines et les lixiviats

Sur le plan technique, les usagers concernés pourront traiter leurs eaux ménagères séparément des eaux-vannes dans des installations d’ANC constituées d’un FBB, y compris quand la perméabilité du sol de la parcelle d’implantation est inférieure à 15 mm/h. Le filtre pourra aussi recevoir les urines et les lixiviats, mais pas le reste des eaux-vannes.

Dans le cadre du présent arrêté, les eaux ménagères sont définies comme la fraction des eaux usées domestiques provenant des douches, baignoires, lavabos, lave-linge, éviers et lave-vaisselle, tandis que les eaux-vannes sont les effluents issus des toilettes. Quant aux lixiviats, c’est le liquide résiduel issu de la percolation de l’urine à travers une zone de compostage des matières des toilettes sèches. La réglementation de 2009 prévoit en effet que ces matières doivent être traitées par compostage sur la parcelle de l’usager, à l’abri de la pluie mais sur une surface étanche ; rien n’était prévu jusqu’à présent pour le traitement des lixiviats qui résultent de ce compostage.

Toujours dans le présent cadre, un filtre à broyat de bois est un dispositif constitué d’un ou de plusieurs filtres unitaires creusés dans le sol en place et garnis de broyat de bois, permettant le traitement des eaux ménagères seules ou avec l’urine ou les lixiviats avant leur infiltration dans le sol. Chaque filtre unitaire est une tranchée constituée d’une fouille à fond incliné non étanche et totalement remplie de broyat de bois.

Quant à ce broyat de bois, il peut s’agir d’un broyat d’emballage en bois prévu comme combustible ; ou d’un broyat ou de plaquettes issus de l’élagage et comprenant les grumes et autres branches tout venant, produits pour le paillage ou l’embellissement ; ou de bois raméal fragmenté (BRF) ; ou de particules du bois comprenant les écorces, sciures et copeaux de rabotage. Il ne doit pas être issu de bois traités ni de bois exotiques.

Expérimentation réservée à des installations neuves

L’expérimentation est réservée à des installations d’ANC neuves et recevant une charge brute de pollution organique inférieure ou égale à 1,2 kg/j de DBO5, ce qui correspond à une capacité maximale de traitement de 20 équivalents-habitants (EH). Ces FBB doivent être localisés en dehors des zones à enjeux sanitaires ou environnementaux. Ils sont soumis à toutes les prescriptions réglementaires qui ne sont pas contradictoires avec le présent arrêté.

Les propriétaires d’installations souhaitant participer à l’expérimentation envoient un dossier de demande au comité de sélection et de suivi (CSS), au plus tard le 26 mai 2023, si possible par voie électronique. Ce comité retiendra trente projets, de manière à constituer un échantillon représentatif des différents types d’installation et des milieux récepteurs et permettant un suivi opérationnel dans des conditions techniques et économiques acceptables. Un projet correspond à une seule installation et à un seul maître d’ouvrage.

Le dossier de demande comporte le dossier qui doit être adressé au Spanc pour lui permettre d’exercer sa mission d’examen préalable de la conception, comme pour toute installation d’ANC neuve ou réhabilitée. Le maître d’ouvrage doit en outre s’engager à transmettre chaque année au CSS le cahier de vie de l’installation figurant à l’annexe I du présent texte.

Engagements du maître d’ouvrage

Il doit autoriser les membres de ce comité ou les personnes qu’il mandate (NDLR : éventuellement les spanqueurs) à effectuer des visites sur site afin de suivre le bon fonctionnement de l’installation. Il doit autoriser le CSS à équiper l’installation pour en permettre le suivi, comme détaillé ci-après.

Il doit surtout s’engager à ne plus se servir de l’installation en cas de suspension individuelle de l’expérimentation ou d’interruption de celle-ci par décision du CSS, ou si l’expérimentation n’est pas suivie d’une généralisation de la dérogation. Dans ces cas, le maître d’ouvrage sera tenu d’équiper son bien avec une installation d’ANC conforme aux normes applicables.

Le CSS peut autoriser le propriétaire à participer à l’expérimentation, dès réception de la demande. Il peut aussi surseoir à statuer dans un délai qui ne peut pas excéder un an à compter du 26 avril 2023, et il en informe le propriétaire dans les deux mois qui suivent le dépôt du dossier. En théorie, le comité lui indique les suites données à sa demande ; toutefois, s’il ne répond rien dans un délai de deux mois, la demande de participation à l’expérimentation est rejetée.

Si son dossier est accepté, le propriétaire fournit au Spanc le dossier d’examen préalable de la conception, accompagné du document attestant de sa participation à l’expérimentation. L’installation est considérée comme conforme si elle respecte le présent texte et les autres dispositions réglementaires auxquelles ce texte ne déroge pas.

Les eaux ménagères, seules ou avec les urines ou les lixiviats, sont traitées dans la parcelle d’implantation de l’immeuble. La surface de la parcelle doit être suffisante pour permettre la réalisation du FBB et assurer son bon fonctionnement. La surface du filtre est de 1 m2/EH, avec un minimum de 2 m2. Il est constitué d’un ou de plusieurs filtres unitaires, présentant chacun une longueur de 2 à 5 m, une largeur de 20 à 60 cm et une profondeur de 40 cm au plus. S’il y a plusieurs filtres unitaires, chacun est alimenté par alternance durant une semaine ; cette alimentation se fait à l’air libre, par une chute d’eau d’au moins 2 cm.

L’installation est implantée à une distance suffisante des habitations afin de limiter les nuisances (NDLR : cette « distance suffisante » n’est pas précisée ici). La présence du FBB doit être signalée, et des mesures de protection doivent éviter tout contact accidentel avec les liquides, avec au moins un grillage autour de l’alimentation à l’air libre de chaque filtre unitaire.

Obligations d’entretien et de maintenance

Le propriétaire doit réaliser des opérations d’entretien et de maintenance, dont un contrôle général de l’installation chaque semaine. Une fois par mois, il surveille l’entretien des espaces verts autour du filtre, il surveille le bon écoulement dans les filtres unitaires et, si nécessaire, il cure les dépôts de surface. Une fois par an, il complète le niveau du broyat de bois pour le maintenir au niveau du sol. Et en cas de colmatage, il renouvelle le broyat du filtre unitaire défectueux, en épandant ou en compostant sur la parcelle le broyat extrait.

Le CSS comprend notamment deux représentants du directeur de l’eau et de la biodiversité (DEB), dont le président du comité, deux représentants du directeur général de la santé, un représentant du directeur général des collectivités locales, un représentant d’un organisme public de recherche dont le domaine comprend l’ANC ou le traitement décentralisé des eaux usées, et trois personnalités qualifiées dans le domaine de l’ANC désignées par le DEB. Le président du CSS est assisté d’un bureau opérationnel dont il choisit les membres.

Ce bureau est chargé de l’examen des dossiers de demande de participation à l’expérimentation et du suivi opérationnel des installations concernées. Il soumet à l’approbation du comité la liste des projets à retenir. Il prépare un bilan annuel de l’expérimentation, établi à partir des informations transmises par les maîtres d’ouvrage et, le cas échéant, par les Spanc, qu’il présente à l’approbation du comité. Le comité peut aussi mettre en place un groupe de travail réunissant les Spanc concernés.

Le CSS est réuni au moins une fois par an par son président pour prendre acte du bilan annuel de l’expérimentation. Il constate les éventuels dysfonctionnements ou manquements aux obligations, comme une mauvaise conception, des écoulements, l’absence de rotation des filtres unitaires ou des carences des propriétaires dans la transmission des informations. Il en informe les Spanc concernés.

Danger pour les personnes ou pollution du milieu récepteur

Il peut suspendre la participation d’un projet donné à l’expérimentation ou l’en exclure. Si les installations sont la cause d’un danger pour les personnes ou d’une dégradation de la qualité du milieu récepteur, le comité suspend ou met fin à l’expérimentation pour un projet donné ou pour l’ensemble des projets.

Le suivi opérationnel des installations expérimentales est destiné à apprécier le pouvoir épurateur des FBB et à identifier les éventuels risques sanitaires et environnementaux qui en résultent. Les modalités de ce suivi opérationnel, notamment le suivi des caractéristiques de la matrice eau du sol des sites instrumentés, sont définies par le bureau opérationnel, sur la base des paramètres listés à l’annexe II du présent texte. Elles s’appuient notamment sur les recommandations formulées dans l’avis de l’Anses et sont soumises à l’approbation du CSS, qui reçoit les résultats de ce suivi.

L’expérimentation prend fin le 26 avril 2028. Les ministres chargés de l’environnement et de la santé peuvent avancer cette date par une décision motivée conjointe (NDLR : y compris pour accélérer la généralisation de la technique). Au plus tard six mois après la fin de l’expérimentation, le CSS établit un bilan global qu’il adresse à ces ministres. Ce bilan est communiqué aux participants et peut être rendu public par les ministres.

L’annexe I fixe le modèle du cahier de vie de l’ouvrage, avec une partie pour la conception et la réalisation et une partie pour l’entretien. Il comporte notamment le plan de l’ouvrage réalisé, le type d’eau ménagère traitée, les caractéristiques du sol et les caractéristiques du broyat de bois qui doit être conforme à la granulométrie qu’il détaille.

Flaques stagnantes, débordements et odeurs

Le propriétaire doit aussi y indiquer le taux de renouvellement du broyat de bois et les éventuels problèmes constatés avec leur date : flaques stagnantes de plus de 20 cm de diamètre, eau qui déborde du filtre unitaire, odeurs à plus de 3 m des rejets, etc.

L’annexe II donne une liste des paramètres microbiologiques que le CSS doit suivre dans la matrice eau du sol : les Eschericha coli, les coliformes totaux, les entérocoques intestinaux, les entérocoques intestinaux, les bactériophages ARN-F spécifiques, les spores de microorganismes anaérobies sulfitoréducteurs et les légionnelles.

Il donne aussi une liste de paramètres physico-chimiques à suivre : le sodium, les chlorures, le pH, la température et le potentiel d’oxydoréduction, les matières en suspension, la demande chimique en oxygène, la demande biologique en oxygène pendant cinq jours, le carbone organique total, le carbone organique dissous, l’azote total, l’ammonium, les nitrates et nitrites, les phosphates, le phosphore total et le titre alcalimétrique complet.

Arrêté du 30 mars 2023 relatif à la mise en œuvre d’une expérimentation portant sur le traitement des eaux ménagères par des installations d’assainissement non collectif constituées d’un filtre à broyat de bois (JO 26 avr. 2023, texte no 18).

Retour