o Éditorial : CGLE numérique

En 1984, l’informaticien états-unien Will Wright crée un banal jeu vidéo de guerre aérienne, mais il s’intéresse moins au scénario qu’au décor, et surtout à la conception des villes survolées par son hélicoptère de combat. Il finit par se concentrer sur cette seule activité et en tire un jeu à part entière, SimCity, qu’il lance en 1989 et qui poursuit toujours sa carrière aujourd’hui, sous le nom de Micropolis ; il en a même existé une version multijoueur en ligne (MMORG).

Par hasard, il invente ainsi, à la fois, une nouvelle catégorie de jeux, les city-builders, qu’on pourrait traduire par « jeux d’urbanisme », et l’un des meilleurs produits de cette catégorie. Pas de super-héros dans SimCity, pas ou peu de monstres, mais beaucoup de soucis quotidiens : le joueur est le maire d’une ville qu’il fonde, qu’il gère et qu’il tente de faire prospérer malgré d’innombrables avanies, depuis les revers électoraux jusqu’aux séismes.

Aucun séisme ni autre avanie ne sont prévus par les concepteurs du CGLE numérique, qui se tiendra les 5 et 6 mai prochains ; mais on retrouve bien quelque chose comme l’esprit de SimCity dans l’élaboration de cette version inédite du Carrefour des gestions locales de l’eau. Car en fonction du nombre de participants, le salon virtuel pourra devenir de plus en plus vaste, et donc de plus en plus complexe à gérer et à parcourir. Comme il s’agit d’un premier essai, l’organisateur, IdéalCo, a prévu par prudence des fonctions classiques, comme la possibilité pour les visiteurs de s’inscrire à des visioconférences ou de réserver à l’avance une plage horaire pour un rendez-vous en tête-à-tête virtuel avec une personne ou une société. En réalité, chacun restera devant son ordinateur, chez lui ou à son bureau. Depuis un an, ce genre d’exercice nous est devenu familier.

Mais ce n’est pas tout, si j’ai bien compris les explications de l’organisateur. Sur le site du salon virtuel, réservé aux participants, chaque visiteur pourra être représenté par une petite figurine, ce que les pratiquants des jeux vidéos appellent un avatar. Pour cette année, inutile de chercher à se distinguer : aucun avatar ne prendra l’apparence d’une archéologue pulpeuse, d’un barbare ou d’un dinosaure. D’ailleurs, chaque figurine portera le vrai nom du participant et sera accompagnée d’un badge. Le visiteur pourra promener son avatar dans une représentation schématique du salon. Par exemple, s’il le fait entrer dans une salle de conférence, un écran s’ouvrira sur son ordinateur et il pourra suivre en direct la conférence en cours.

S’il le préfère, il pourra parcourir les allées du salon numérique et s’arrêter sur un stand virtuel. Cela ouvrira une fenêtre de dialogue avec l’exposant qui tient ce stand. L’exercice sera d’ailleurs assez contraignant pour ces exposants : ils devront concevoir une présentation visuelle, exactement comme le décor et l’agencement d’un stand réel, mais en l’adaptant au format numérique, comme dans SimCity. Ce sera sûrement frustrant pour les industriels qui ont l’habitude de présenter des produits à toucher et à tourner dans tous les sens ; mais en revanche, avec pas mal d’imagination, on pourra exploiter au mieux les possibilités offertes par le monde virtuel. La principale contrainte sera d’avoir des employés présents en permanence devant un ordinateur pendant deux jours : rien ne serait pire pour un visiteur que de tomber sur une vidéo en boucle, sans personne avec qui discuter. Vu le tarif annoncé pour réserver un stand virtuel, ce serait vraiment jeter l’argent… par les écrans.

Et il y a encore mieux : puisque chaque avatar comportera le nom de la personne qu’il représente, on pourra tout à fait se retrouver nez à nez avec l’avatar d’une personne qu’on connaît. On pourra alors engager un dialogue en direct, voire se poser un peu à l’écart, dans des espaces de discussion prévus par l’organisateur. Donc, pendant que vous promènerez votre avatar dans les allées du CGLE virtuel, n’oubliez pas de regarder autour de vous, comme dans un MMORG. Vous ne pourrez hélas pas trinquer à vos retrouvailles avec un ancien collègue. Mais en contrepartie, vous ne repartirez pas du salon avec un sac de documentation qui vous scie l’épaule. Cela vous permettra, pour une fois, d’emporter avec vous toutes les revues qui seront proposées librement aux participants sur le kiosque de presse virtuel. Vous n’aurez pas besoin de faire le tri pour ne pas trop vous charger.

René-Martin Simonnet

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