o Éditorial : 50 ans

Lors du remaniement ministériel du 7 janvier 1971 a été créé un petit portefeuille, qui visait à répondre à une sensibilité nouvelle d’une fraction très minoritaire de l’électorat : celui de ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé de la protection de la nature et de l’environnement. Le Premier ministre d’alors était Jacques Chaban-Delmas, et ce ministre délégué fut Robert Poujade, qui devint ensuite ministre de plein exercice dans le gouvernement de Pierre Messmer. Il disposait d’un budget de 300 millions de francs (300 M actuels) et d’un effectif de 300 agents. Parmi ses principaux succès, on retiendra l’extension des compétences des jeunes agences financières de bassin (AFB), les futures agences de l’eau, et la signature de contrats avec certaines branches industrielles pour mettre en place des règles de lutte contre les nuisances. En poste jusqu’au 1er mars 1974, il publia ensuite un livre intitulé Le Ministère de l’impossible, formule qui résuma assez bien les conditions de travail de ses successeurs pendant trente ans.

On a tendance à croire que ce ministère est né de rien, et c’est ce que laissait entendre Robert Poujade. Rien de moins vrai : la France s’était dotée depuis longtemps de règles de protection de l’environnement, comme la loi du 19 décembre 1917 relative aux établissements dangereux, insalubres ou incommodes. Il faut aussi mentionner la loi n64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution, qui a créé les AFB. Il est vrai toutefois que ces règles et les services chargés de les faire respecter relevaient de plusieurs ministères, ce qui suscitait des rivalités, des contradictions et, au final, une certaine inefficacité. Ces politiques étaient censées être coordonnées par la délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale, dont le patron, le Datar, porta durant quelque temps le sigle de Datare, c’est-à-dire délégué à l’aménagement du territoire, à l’action régionale et à l’environnement. C’est d’ailleurs la Datar qui créa en 1970 un Haut Comité de l’environnement, présidé par… Robert Poujade.

En un demi-siècle, la France a connu 30 ministres chargés de l’environnement sous diverses dénominations, flanqués par 15 ministres délégués ou secrétaires d’État. Trois d’entre eux ont duré quatre ans : Brice Lalonde, Ségolène Royal (en deux fois) et Dominique Voynet. Quatre autres ont tenu trois ans : Robert Poujade, Michel d’Ornano, Huguette Bouchardeau et Jean-Louis Borloo. Les 23 autres se sont partagé les 26 années restantes. Mais la longueur des fonctions n’est pas forcément le meilleur critère pour juger du travail accompli : des personnes comme Michel Crépeau, Michel Barnier, Corinne Lepage ou Nathalie Kosciusko-Morizet ont laissé une trace durable dans la politique française de l’environnement. D’autres, toutes célèbres qu’elles fussent, n’ont pas fait grand-chose d’utile : citons Alain Bombard, Haroun Tazieff, Serge Lepeltier ou Nicolas Hulot.

Un bon expert n’est pas forcément un bon ministre. C’est valable en général ; mais celui de l’environnement – ou de l’écologie depuis 2002 – doit être à la fois un bon expert et un bon ministre s’il veut dépasser le stade des incantations. Il est vu avant tout comme un gêneur par ses collègues. Il lui a fallu vingt ans pour disposer de ses propres services régionaux, les directions régionales de l’environnement (Diren), devenues depuis les Dreal. Aujourd’hui encore, malgré toutes les grandes déclarations, la plupart des ministres essaient de le dissuader de mettre son nez dans leurs dossiers. La protection de l’environnement est loin d’être devenue un sujet transversal, comme le sont la sécurité, la santé, l’emploi ou les finances publiques. Un bon ministre de l’environnement n’est pas une vedette médiatique, mais un tâcheron qui connaît ses sujets sur le bout des doigts et qui se bat tous les jours. Rien n’est impossible à ce poste, mais rien n’est acquis d’avance.

René-Martin Simonnet

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