Éditorial : Anxiété

L’eau est le miroir de l’humanité, de ses rêves et de ses peurs. On le constate chaque année avec le baromètre que le Centre d’information sur l’eau (CIEau) fait réaliser par Kantar : une enquête nationale sur les Français et l’eau, auprès d’un échantillon d’environ 3 500 personnes, différentes d’une année sur l’autre. Sa 27édition, présentée mardi dernier, reflète bien le climat actuel de la société française, secouée par la crise sanitaire, puis par plus d’une année de sécheresse, par l’inflation et enfin par les émeutes de juin dernier. Alors qu’en général, les résultats en sont quasiment constants d’une année sur l’autre, avec des évolutions lentes ou des oscillations ponctuelles en fonction d’une actualité spécifique, cette édition 2023 se caractérise par des inflexions notables, toutes dans le même sens : les consommateurs d’eau sondés cette année sont plus anxieux que les années précédentes.

La longue sécheresse qui s’achève en est la première cause, et les sondés la relient sans hésiter au changement climatique. Ainsi, 71 % d’entre eux craignent de manquer d’eau dans leur région à l’avenir, contre 69 % l’an dernier. Ils constatent les effets du changement climatique près de chez eux : 58 % (contre 47 %) estiment qu’il y a de plus en plus d’épisodes de sécheresse, 52 % (contre 42 %) que les cours d’eau ont baissé, 51 % que les températures sont plus élevées même en hiver, et 31 % (contre 22 %) qu’il y a de plus en plus de restrictions d’usage. Il ne reste plus que 11 % de sondés (contre 24 %) pour déclarer qu’ils ne constatent aucun de ces changements dans leur région.

Un autre effet de cette anxiété est le pessimisme des sondés : 73 % (contre 70 %) estiment que les ressources en eau sont polluées, 69 % prévoient que leur qualité va se dégrader dans les années à venir, et 58 % que la ressource sera de plus en plus rare. Il en résultera, pour 82 % ou 88 %, selon la question posée, une augmentation du prix de l’eau et, pour 70 % (contre 67 %), un effet sur la qualité de l’eau du robinet. Toutefois, la baisse attendue de la ressource en eau n’incite plus que 77 % des sondés, contre 89 % il y a un an, à envisager de changer leur mode de vie pour réduire leur consommation en eau, alors que 33 % (contre 27 %) veulent conserver leurs habitudes. « Est-ce dû à leur lassitude à l’égard des multiples injonction de la société, se demande Marillys Macé, directrice du CIEau ? En tout cas, les Français préfèrent se recentrer sur ce qui les touche directement. »

Ainsi, quand on leur propose des actions faciles pour économiser l’eau, comme traquer les fuites d’eau ou prendre une douche plutôt qu’un bain, la plupart de ces éco-gestes restent plébiscités, mais avec un recul sensible par rapport à l’an dernier, de cinq à dix points. Et ils le feraient pour réaliser une réelle économie financière (45 %) ou parce qu’ils n’ont pas le choix (5 %), plutôt que pour préserver les ressources en eau (25 %) ou pour sauvegarder la planète (18 %).

Cette lassitude se conjugue avec une méfiance en hausse. Ainsi, la quasi-totalité des sondés savent que l’eau du robinet est soumise à des normes et à des contrôles, mais ils sont cette année 22 % (contre 19 %) à déclarer ces normes pas assez exigeantes, et 34 % (contre 30 %) à trouver que les contrôles sont insuffisants. De même, la confiance dans l’eau du robinet descend de 85 % à 78 %, et celle dans la qualité des traitements de cette eau s’érode de 85 % à 81 %. En conséquence, 23 % (contre 16 %) jugent que la qualité de l’eau du robinet s’est dégradée durant ces dix dernières années. Peu leur importe que les résultats du contrôle sanitaire restent constants : on peut d’ailleurs douter qu’ils les lisent.

La solution face au changement climatique et aux enjeux d’accès à l’eau ? Pour 81 % des sondés, c’est d’utiliser les eaux usées traitées pour l’agriculture ou l’industrie ; pour 70 % (contre 67 %), c’est d’investir dans des technologies permettant de conserver le même confort d’usage de l’eau ; pour 70 % également (contre 65 %), c’est d’édicter des réglementations imposant aux aux professionnels de réduire leur consommation ; mais pour 51 % seulement (contre 53 %), c’est d’imposer une même réduction aux particuliers. Oui aux contraintes, mais pour les autres.

René-Martin Simonnet

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