Éditorial : Banana

Pire que le Nimby, le Banana serait la menace suprême contre notre civilisation. Banana, c’est « Build absolutely nothing anytime nor anyplace », c’est-à-dire « Ne construisez absolument rien, jamais ni nulle part ». C’est sans aucun doute beaucoup plus radical que le « Not in my backyard » du Nimby, autrement dit « Pas dans mon arrière-cour ». Pour leurs soi-disantes victimes, cela relève du même comportement : le Banana serait un Nimby extrémiste qui voudrait ravaler l’homme au rang du singe, comme son nom l’indique.

Il existe de vrais Banana, dans des groupuscules fanatiques qui rejettent toute civilisation ; mais ils sont rares. Et chacun de nous est un peu Banana dans l’âme, d’où le succès persistant du Club Med. Mais prendre le Banana – ou le prétendu Banana – pour le superlatif du Nimby me paraît une grave erreur de jugement, voire une tentative de manipulation. Prenons l’exemple des barrages : le Nimby n’en veut pas chez lui, mais il n’a a priori rien contre l’édification d’un barrage dans une autre région. Il exprime un point de vue égoïste, qui peut éventuellement s’appuyer sur l’intérêt général, lorsqu’il s’avère qu’un projet de barrage apporterait plus d’inconvénients que d’avantages.

Le Banana anti-barrage, lui, conteste le principe même du barrage des cours d’eau, où que ce soit. Quelles que soient ses motivations, il manifeste en tout cas un comportement cohérent. Il peut certes se montrer rigoriste et extrémiste ; mais quel est le projet de barrage qui ne présente pas le moindre inconvénient pour les milieux aquatiques ? Le Banana anti-barrage n’est au fond que le double inversé du fervent partisan des barrages, dont les motivations sont en général économiques et, parfois, très égoïstes. Par exemple, entre Hydro-Québec, qui veut construire de nouveaux barrages pour exporter davantage d’électricité « propre » vers les États-Unis, et les écologistes canadiens qui s’y opposent, où se situe le sens de l’intérêt général ?

René-Martin Simonnet

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