Éditorial : Déplacer l’eau ?

« L’eau n’est pas là où elle devrait être. » Une telle affirmation pose problème, surtout lorsqu’elle est mise en relation avec la croissance démographique. C’est Loïc Fauchon qui l’a avancée, en tant que gouverneur du Conseil mondial de l’eau, lors de la préparation du sommet de Kyoto. Le PDG de la Société des eaux de Marseille peut s’appuyer sur l’exemple de sa ville : la deuxième métropole de France ne peut vivre que grâce à l’eau des Alpes, conduite jusqu’à la côte par des canaux.

Mais tout le monde n’habite pas au pied d’une montagne. Quand l’eau vient d’en haut, il est relativement facile de la détourner, au prix d’investissements importants, certes, mais durables. Les Romains excellaient déjà dans la construction d’aqueducs longs de plusieurs centaines de kilomètres. Mais lorsqu’il faut puiser l’eau, la pomper ou la transférer dans des citernes flottantes, le problème est tout autre. Au lieu de l’évaporation solaire, on doit compter avec des dépenses énergétiques importantes. Car l’eau est lourde. Aux investissements s’ajoute alors une charge de fonctionnement permanente, qui se répercute sur le prix de l’eau et peut la rendre non rentable, en fonction des usages.

Toute la planète a-t-elle droit à l’eau ? Est-il légitime de puiser dans les fleuves du nord de l’Espagne et de franchir des cols pour irriguer des orangers dans le sud ? Sur un plan strictement économique, non. Il serait plus logique de déplacer les populations de ces régions vers des régions mieux arrosées. Les investissements que cela exigerait seraient lourds mais ponctuels. Mais sur un plan social et politique, il semble impossible de bouleverser ainsi la vie de millions de personnes, voire de milliards si l’on raisonne à l’échelle de la planète. On peut donc prédire que, lors du Forum mondial de l’eau de Kyoto, personne n’émettra une telle idée. Pas même un économiste.

René-Martin Simonnet

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