o Marchés publics : de la transparence mais pas trop

Quand un article de la loi sur les marchés publics est inapplicable, les acheteurs et leurs prestataires finissent par le contourner. De toute façon, cette disposition est contraire au droit européen.

Saisie par la Chambre nationale d’appel de Pologne, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) rend une nouvelle décision préjudicielle sur l’application de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics. Cette fois-ci, la question porte surtout sur les informations qui peuvent être communiquées dans le cadre d’une telle procédure.

Une astuce illégale pour contourner une obligation illégale

La loi polonaise sur la passation des marchés publics impose que, à la seule exception des secrets d’affaires, les informations transmises par les soumissionnaires aux pouvoirs adjudicateurs soient intégralement publiées ou communiquées aux autres soumissionnaires. Pour contourner cette obligation, les pouvoirs adjudicateurs ont pris l’habitude d’accepter systématiquement les demandes de traitement confidentiel au titre de secrets d’affaires. Dans un vrai jugement de Salomon, la CJUE décide que la loi et l’astuce permettant de la vider d’effet sont toutes deux contraires à la directive.

Elle remet les choses en place : pour décider s’il refusera à un soumissionnaire dont l’offre a été rejeté l’accès à certaines informations provenant de ses concurrents, le pouvoir adjudicateur doit apprécier, au cas par cas, si ces informations ont une valeur commerciale qui ne se limite pas au marché public concerné, leur divulgation étant susceptible de porter atteinte à des intérêts commerciaux légitimes ou à la concurrence loyale.

Donner assez d’informations pour permettre un recours

Même si ce n’est pas le cas, il peut refuser de donner accès à ces informations lorsque leur divulgation ferait obstacle à l’application des lois ou serait contraire à un intérêt public. Et s’il refuse l’accès intégral aux informations, il doit octroyer au candidat évincé un accès au contenu essentiel de ces mêmes informations, de manière à ce que le respect du droit à un recours effectif soit assuré.

Si des informations ont été à tort traitées comme confidentielles et s’il en a résulté pour le candidat évincé une violation de son droit à un recours effectif, le pouvoir adjudicateur n’est pas forcément obligé de prendre une nouvelle attribution du marché : il en est dispensé si la procédure en vigueur permet à la juridiction saisie d’adopter en cours d’instance des mesures qui rétablissent le respect du droit à un recours effectif, ou si le requérant peut introduire un nouveau recours contre la décision d’attribution déjà prise. Le délai pour l’introduction d’un tel recours ne doit courir qu’à partir du moment où ce requérant a accès à l’ensemble des informations qui avaient à tort été qualifiées de confidentielles.

La CJUE tranche aussi un point annexe : l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2014/24/UE ne s’oppose pas à ce que soient incluses, parmi les critères d’attribution du marché, la « conception du développement des projets » dont la réalisation est envisagée dans le cadre du marché public en cause et la « description des modalités d’exécution » de ce marché, pourvu que ces critères soient assortis de précisions qui permettent au pouvoir adjudicateur d’évaluer d’une manière concrète et objective les offres soumises.

Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 17 novembre 2022 (demande de décision préjudicielle de la Krajowa Izba Odwoławcza — Pologne) – Antea Polska S.A., Pectore-Eco sp. z o.o., Instytut Ochrony Środowiska — Państwowy Instytut Badawczy / Państwowe Gospodarstwo Wodne Wody Polskie (Affaire C-54/21) (Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Directive 2014/24/UE – Principes de passation de marchés – Article 18 – Transparence – Article 21 – Confidentialité – Aménagement de ces principes dans la législation nationale – Droit d’accès au contenu essentiel des informations transmises par les soumissionnaires sur leurs expériences et références, sur les personnes proposées pour exécuter le marché et sur la conception des projets envisagés et les modalités d’exécution – Article 67 – Critères d’attribution du marché – Critères relatifs à la qualité des travaux ou services proposés – Exigence de précision – Directive 89/665/CEE – Article 1er, paragraphes 1 et 3 – Droit à un recours effectif – Remède en cas de violation de ce droit en raison du refus de donner accès aux informations non confidentielles) (JOUE C 15, 16 janv. 2023, p. 11).

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