o Recours contre un marché public dont les documents n’ont pas été publiés

Quand on atteint les plafonds prévus dans un accord-cadre, on doit conclure un nouveau marché public, et par conséquent respecter les règles de transparence.

Dans le cadre d’un marché public conclu en Autriche, la société EPIC Financial Consulting a déposé un référé et un recours devant la Cour administrative fédérale (BVwG) contre un accord-cadre conclu par la société Bundesbefertigung GmbH (BBG), qui dépend du ministère des finances et qui a pour mission de conclure des contrats publics pour le compte d’acheteurs publics.

Mais la procédure prévue en tel cas par le droit autrichien risque d’empêcher la société requérante de parvenir à faire examiner ses demandes par le juge administratif. Celle-ci conteste donc cette réglementation et demande la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), afin qu’elle rende une décision préjudicielle sur la conformité de cette procédure au droit européen.

Pour saisir l’intérêt de cette décision, il faut d’abord en détailler les circonstances. La BBG a conclu un accord-cadre avec un opérateur économique. Elle a ensuite conclu un nouveau marché avec cet opérateur, en le fondant sur cet accord-cadre, et sans publication d’un avis de marché ni d’un avis d’attribution de marché. Pour la BBG, en effet, il s’agit de la poursuite du même accord-cadre.

Si le plafond est dépassé, c'est un autre marché

Mais la CJUE ne partage pas ce point de vue : en application de l’article 33, paragraphe 3, de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics, un pouvoir adjudicateur ne peut plus se fonder, pour attribuer un nouveau marché, sur un accord-cadre dont la quantité ou la valeur maximale des travaux, fournitures ou services concernés qu’il fixe ont déjà été atteintes, à moins que l’attribution de ce marché n’entraîne pas une modification substantielle de cet accord-cadre.

Il ne s’agit donc pas de la poursuite d’un accord-cadre, mais bien d’un nouveau marché, ce qui impose à la BBG de respecter les formalités de publicité nécessaires, et au moins la publication de l’avis d’attribution du marché.

La suite de la décision préjudicielle concerne la procédure prévue par la réglementation autrichienne. Au sujet de l’existence d’une procédure particulière, la CJUE n’a pas d’objection de principe à soulever : « Le principe d’équivalence doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit, pour les demandes en référé et les recours relatifs à une procédure de passation de marché public, des règles procédurales différentes de celles qui s’appliquent notamment aux procédures en matière civile. »

En l’occurrence, la réglementation impose au justiciable d’identifier, dans sa demande en référé ou dans son recours, la procédure de passation de marché public concernée et la décision individuellement attaquable qu’il conteste. Mais dans le cas présent, comme nous l’avons déjà indiqué, le pouvoir adjudicateur a opté pour une procédure de passation de marché public sans publication préalable d’un avis de marché, et l’avis d’attribution de marché n’a pas été publié. Une telle situation n’a visiblement pas été prévue par le droit autrichien.

Or l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne prévoit que « toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal […]. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial ».

Impossible d'identifier une procédure qui est restée secrète

La CJUE décide assez logiquement que cet article s’oppose à l’obligation faite au requérant d’identifier la procédure et la décision qu’il conteste, lorsque l’avis de marché et l’avis d’attribution du marché n’ont pas été publiés.

Par ailleurs, quand une juridiction est saisie d’une demande en référé visant à empêcher des acquisitions par un pouvoir adjudicateur, ou d’un recours visant à l’annulation d’une décision individuellement attaquable du pouvoir adjudicateur, cette même réglementation impose à la juridiction de déterminer divers éléments avant toute décision, dont la valeur estimée du marché en cause et le nombre de décisions attaquables.

Cette détermination vise à calculer le montant des frais forfaitaires de justice dont l’auteur de la demande ou du recours devra impérativement s’acquitter, sous peine de voir sa demande ou son recours rejetés pour ce seul motif.

Sur ce point, la CJUE distingue les deux procédures : cette obligation est conforme à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux lorsqu’il s’agit d’un recours. On peut supposer que la Cour considère que, dans une procédure portant sur le fond, la juridiction saisie a le temps d’obtenir ces informations. À l’inverse, cette réglementation est contraire à l’article 47 de la charte en cas de dépôt d’une demande en référé, en l’absence de publication de l’avis de marché et de l’avis d’attribution du marché.

Et toujours dans le même cas, la réglementation autrichienne est contraire à ce même article 47 lorsqu’elle impose au justiciable qui introduit une demande en référé ou un recours de verser des frais forfaitaires de justice d’un montant impossible à prévoir, puisque le pouvoir adjudicateur a opté pour une procédure de passation de marché public sans publication préalable d’un avis de marché ou, le cas échéant, sans publication ultérieure d’un avis d’attribution de marché.

Dans un tel cas, ce justiciable peut en effet se trouver dans l’incapacité de connaître la valeur estimée du marché en cause ainsi que le nombre de décisions individuellement attaquables qui ont été adoptées par le pouvoir adjudicateur, sur la base desquelles ces frais devront être été calculés.

Arrêt de la Cour (huitième chambre) du 14 juillet 2022 (demandes de décision préjudicielle du Bundesverwaltungsgericht — Autriche) — EPIC Financial Consulting Ges.m.b.H. / Republik Österreich, Bundesbeschaffung GmbH (Affaires jointes C-274/21 et C-275/21) [Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Règlement (UE) n1215/2012 – Inapplicabilité aux procédures en référé et de recours visées à l’article 2 de la directive 89/665/CEE en l’absence d’élément d’extranéité – Directive 2014/24/UE – Article 33 – Assimilation d’un accord-cadre à un contrat, au sens de l’article 2 bis, paragraphe 2, de la directive 89/665 – Impossibilité d’attribuer un nouveau marché public lorsque la quantité et/ou (sic) la valeur maximale des travaux, fournitures ou services concernés fixée par l’accord-cadre a déjà été atteinte – Réglementation nationale prévoyant l’acquittement de frais d’accès à la justice administrative dans le domaine des marchés publics – Obligations de déterminer et d’acquitter les frais d’accès à la justice avant que le juge ne statue sur une demande en référé ou un recours – Procédure de passation de marché public opaque – Principes d’effectivité et d’équivalence – Effet utile – Droit à un recours effectif – Directive 89/665 – Articles 1er, 2 et 2 bis – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Réglementation nationale prévoyant le rejet d’un recours en cas de non-paiement des frais d’accès à la justice – Détermination de la valeur estimée d’un marché public] (JOUE C 359, 19 sept. 2022, p. 7).

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