Contrats de droit privé de la commande publique : recours des candidats évincés

En matière de commande publique, les contrats de droit privé ne sont pas soumis aux mêmes règles que les contrats administratifs. C’est normal.

Dans le cadre d’un litige, la société Bâtiment mayennais a déposé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), que la Cour de cassation a transmise au Conseil constitutionnel. Elle porte sur l’article 16 de l’ordonnance n2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique. Cet article prévoit divers cas de nullité de ces contrats, qui peuvent être des contrats de droit privé ou des contrats administratifs.

Selon la société requérante, cet article méconnaîtrait le droit à un recours juridictionnel effectif, en limitant de manière excessive les manquements qui peuvent être invoqués, après la signature d’un contrat de droit privé de la commande publique, par les concurrents évincés afin d’en obtenir la nullité. Elle soutient que, de plus, aucune autre voie de recours ne serait ouverte.

À l’inverse, toujours selon la société requérante, les candidats évincés d’un contrat administratif de la commande publique disposent, après la signature du contrat, d’une voie de recours supplémentaire reconnue par la jurisprudence administrative. Ces dispositions seraient donc également contraires au principe d’égalité devant la loi.

Compétence du Conseil constitutionnel à l’égard d’une directive transposée

Selon le Premier ministre, l’article contesté se contente d’appliquer les dispositions inconditionnelles et précises de la directive 2007/66/CE du 11 décembre 2007 modifiant les directives 89/665/CEE et 92/13/CEE du Conseil en ce qui concerne l’amélioration de l’efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics. En l’absence de mise en cause d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, il n’y aurait pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, de se prononcer sur cette QPC.

Mais le Conseil constitutionnel constate que les dispositions inconditionnelles et précises de cette directive se bornent à imposer aux États membres de l’Union européenne de créer un recours permettant d’obtenir l’annulation d’un contrat de la commande publique lorsque certains manquements qu’elles déterminent ont été commis lors de sa passation.

Ces dispositions n’empêchent pas les Etats de prévoir que d’autres manquements puissent également conduire à l’annulation du contrat, et leur confèrent ainsi une marge d’appréciation pour adopter des dispositions complémentaires. Ce que la France n’a pas fait.

« Dès lors, il y a lieu de statuer sur la méconnaissance, par les dispositions contestées, des droits et libertés que la Constitution garantit en ce que ces dispositions ne prévoient pas d’autres cas d’annulation du contrat que ceux imposés par la directive du 11 décembre 2007. » Le Conseil constitutionnel est donc bien compétent pour se prononcer sur cette QPC.

Droit à un recours juridictionnel effectif

En vertu de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction.

Les personnes qui ont un intérêt à conclure un contrat de droit privé de la commande publique et qui sont susceptibles d’être lésées par des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d’un tel contrat peuvent, après sa signature, saisir le juge judiciaire d’un référé contractuel afin d’en obtenir la nullité. L’article contesté détermine limitativement les cas dans lesquels le juge saisi d’un tel référé peut prononcer cette nullité.

Tel est le cas lorsque aucune des mesures de publicité requises pour la passation du contrat n’a été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l’Union européenne dans le cas où cette publication était prescrite, ou lorsque le contrat est conclu en méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique.

Tel est également le cas lorsque le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice n’a pas respecté l’obligation qui peut lui être faite d’observer un délai minimal entre l’envoi de la décision d’attribution aux candidats évincés et la signature du contrat, ou lorsque le contrat a été signé alors qu’un référé précontractuel était encore pendant et que les obligations de publicité et de mise en concurrence ont été méconnues d’une manière affectant les chances de l’auteur du recours d’obtenir le contrat.

Ainsi, sauf dans le cas où l’autorité adjudicatrice a fait irrégulièrement obstacle à une saisine du juge du référé précontractuel, l’article contesté ne permet pas aux requérants d’invoquer en référé contractuel les autres manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptibles de les avoir lésés, afin d’obtenir l’annulation du contrat.

Toutefois, en limitant les cas d’annulation des contrats de droit privé de la commande publique aux violations les plus graves des obligations de publicité et de mise en concurrence, le législateur a entendu éviter une remise en cause trop fréquente de ces contrats après leur signature et assurer la sécurité juridique des relations contractuelles. Il a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général.

Recours précontractuel avant la signature

Par ailleurs, conformément aux articles 3 et 6 de l’ordonnance du 7 mai 2009, les personnes ayant intérêt à conclure un contrat de droit privé de la commande publique peuvent, avant sa signature, former un référé précontractuel. Dans ce cas, elles peuvent invoquer tout manquement qui, eu égard à sa portée et au stade de la procédure auquel il se rapporte, est susceptible de les avoir lésées ou risque de les léser.

Le juge peut alors prendre des mesures tendant à ce que l’autorité responsable du manquement se conforme à ses obligations, dans un délai qu’il fixe, et à ce que soit suspendue l’exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat.

À cet égard, la circonstance que le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice ne soit pas toujours obligé de communiquer la décision d’attribution du contrat aux candidats non retenus et d’observer, après cette communication, un délai avant de signer le contrat n’a ni pour objet ni nécessairement pour effet de priver les candidats évincés de la possibilité de former un référé précontractuel, dès le rejet de leur offre et jusqu’à la signature du contrat.

D’autre part, l’article contesté ne fait pas obstacle à ce qu’un candidat irrégulièrement évincé exerce, parmi les voies de recours de droit commun, une action en responsabilité contre la personne responsable du manquement dénoncé (NDLR : c’est-à-dire en général contre l’organisme à l’origine du contrat).

Il résulte de ce qui précède que, au regard des conséquences qu’entraîne l’éviction d’un candidat à un contrat privé de la commande publique, les dispositions contestées ne portent pas d’atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif.

Principe d’égalité devant la loi

Le principe d’égalité devant la loi, énoncé par l’article 6 de la Déclaration de 1789, ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

Il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d’État que les candidats évincés d’un contrat administratif de la commande publique peuvent, après la signature du contrat, former en sus du référé contractuel un recours en contestation de la validité de ce contrat.

Ce recours en contestation est ouvert devant le juge administratif à tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses.

Les candidats évincés d’un contrat privé de la commande publique ne bénéficient pas devant le juge judiciaire d’un recours identique. Toutefois, les contrats administratifs et les contrats de droit privé répondent à des finalités et à des régimes différents.

Ainsi, les candidats évincés d’un contrat privé de la commande publique sont dans une situation différente des candidats évincés d’un contrat administratif de la commande publique. Dès lors, la différence de traitement dénoncée, qui est en rapport avec l’objet de la loi, ne méconnaît pas le principe d’égalité devant la loi. Par conséquent, l’article contesté est conforme à la Constitution.

Décision n2020-857 QPC du 2 octobre 2020 (JO 3 oct. 2020, texte n105).

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