Interprétation de la loi Élan dans le cadre du contentieux de l’urbanisme

Cette loi a considérablement compliqué les règles applicables par le juge administratif.

Deux dossiers complexes relevant du droit de l’urbanisme ont été soumis, l’un au tribunal administratif de Pau, l’autre à la cour administrative d’appel de Douai. Chacun d’eux concerne un permis de construire, dont l’annulation est demandée devant le juge administratif.

Dans les deux cas, celui-ci demande au Conseil d’État un avis sur le raisonnement juridique à suivre. Il faut dire que ces questions ont été plutôt embrouillées par la réforme du contentieux administratif de l’urbanisme, telle qu’elle résulte de la loi n2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi Élan.

Régularisation portant atteinte à la conception générale d’un projet

Dans la première affaire, nous nous trouvons devant un permis de construire illégal en raison d’un ou de plusieurs vices : dans sa version en vigueur, l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme permet au juge de laisser un délai au demandeur pour qu’il régularise son dossier, dès lors que c’est possible.

Mais, demande le TA de Pau, cette procédure est-elle applicable lorsque cette régularisation aurait pour conséquence de porter atteinte à la conception générale du projet ? Et si c’est le cas, existe-t-il un autre critère relatif aux modifications pouvant être apportées au projet concerné, dont le non-respect ferait obstacle à la délivrance d’un permis de régularisation ?

Le Conseil d’État se réfère à l’article en question, mais aussi aux travaux parlementaires qui ont débouché sur sa rédaction actuelle. À partir de l’analyse de ces éléments, il rend l’avis suivant : « Un vice entachant le bien-fondé de l’autorisation d’urbanisme est susceptible d’être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l’économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d’urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n’implique pas d’apporter à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même. » Ce qui laisse une grande marge d’appréciation au TA de Pau…

Conséquences de l’annulation partielle d’un document d’urbanisme

Dans la seconde affaire, la CAA de Douai demande quels sont les motifs d’illégalité d’un schéma de cohérence territoriale, d’un plan local d’urbanisme (PLU), d’un document d’urbanisme en tenant lieu ou d’une carte communale qui doivent être considérés comme étrangers aux règles d’urbanisme applicables au projet.

L’article L. 600-12-1 du code de l’urbanisme dispose en effet que l’annulation ou la déclaration d’illégalité d’un de ces documents « sont par elles-mêmes sans incidence sur les décisions relatives à l’utilisation du sol ou à l’occupation des sols régies par le présent code délivrées antérieurement à leur prononcé, dès lors que ces annulations ou déclarations d’illégalité reposent sur un motif étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet.

« Le présent article n’est pas applicable aux décisions de refus de permis ou d’opposition à déclaration préalable. Pour ces décisions, l’annulation ou l’illégalité du document d’urbanisme leur ayant servi de fondement entraîne l’annulation de ladite décision. »

La CAA de Douai demande aussi si l’illégalité externe dont est entaché un tel document doit invariablement être regardée comme étrangère aux règles d’urbanisme applicables au projet. Et lorsque l’annulation ou la déclaration d’illégalité repose sur plusieurs motifs, mais qu’un seul motif n’est pas étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet contesté, et que ce motif n’affecte que certaines dispositions divisibles de ce document, le juge doit-il examiner la légalité du permis de construire accordé en appréciant sa conformité, d’une part, aux dispositions du document d’urbanisme immédiatement antérieur, équivalentes à celles annulées ou déclarées illégales pour un motif qui n’est pas étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet, et, d’autre part, et pour le surplus, aux dispositions du document d’urbanisme annulées ou déclarées illégales mais pour un motif étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet ? Autrement dit, faut-il charcuter le permis de construire ?

Vérifier le rapport entre les motifs d’illégalité et les règles applicables au projet

À cette question complexe, qui résulte d’un texte de loi mal ficelé, le Conseil d’État apporte une réponse tout aussi complexe. Tout d’abord, il appartient au juge, saisi d’un moyen tiré de l’illégalité du document local d’urbanisme à l’appui d’un recours contre une autorisation d’urbanisme, de vérifier si l’un au moins des motifs d’illégalité du document local d’urbanisme est en rapport direct avec les règles applicables à l’autorisation d’urbanisme.

Un vice de légalité externe est étranger à ces règles, sauf s’il a été de nature à exercer une influence directe sur des règles d’urbanisme applicables au projet. À l’inverse, un vice de légalité interne ne leur est pas étranger, sauf s’il concerne des règles qui ne sont pas applicables au projet.

Lorsque le document local d’urbanisme sous l’empire duquel a été délivrée l’autorisation contestée est annulé ou déclaré illégal pour un ou plusieurs motifs non étrangers aux règles applicables au projet en cause, la détermination du document d’urbanisme au regard duquel doit être appréciée la légalité de cette autorisation obéit à l’une des trois règles suivantes, en fonction des circonstances de fait :

• dans le cas où ce ou ces motifs affectent la légalité de la totalité du document d’urbanisme, la légalité de l’autorisation contestée doit être appréciée au regard de l’ensemble du document immédiatement antérieur ainsi remis en vigueur ;

• lorsque ce ou ces motifs affectent seulement une partie divisible du territoire que couvre le document local d’urbanisme, ce sont les dispositions du document immédiatement antérieur relatives à cette zone géographique qui sont remises en vigueur ;

• et si ce ou ces motifs n’affectent que certaines règles divisibles du document d’urbanisme, la légalité de l’autorisation contestée n’est appréciée au regard du document immédiatement antérieur que pour les seules règles équivalentes nécessaires pour assurer le caractère complet et cohérent du document.

S’agissant en particulier d’un PLU, une disposition du règlement ou une partie du document graphique qui lui est associé ne peut être regardée comme étant divisible que si le reste du PLU forme un ensemble complet et cohérent avec les éléments du document d’urbanisme immédiatement antérieur le cas échéant remis en vigueur.

Enfin, lorsqu’un motif d’illégalité non étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet est susceptible de conduire à remettre en vigueur tout ou partie du document local d’urbanisme immédiatement antérieur, le moyen tiré de l’exception d’illégalité du document local d’urbanisme à l’appui d’un recours en annulation d’une autorisation d’urbanisme ne peut être utilement soulevé que si le requérant soutient également que cette autorisation méconnaît les dispositions pertinentes ainsi remises en vigueur.

Avis nos 438318 et 436934 du 2 octobre 2020 (JO 8 oct. 2020, textes nos 68 et 69).

NDLR : ces avis alambiqués prouvent une fois de plus que le juge dispose d’un pouvoir d’interprétation considérable lorsque le législateur a écrit n’importe quoi.

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