Éditorial : + 20 %

Depuis 2016, Emmanuel Macron répète comme une incantation qu’il ne faut pas augmenter les impôts, et même qu’il faut les diminuer, et il l’a fait durant son premier quinquennat. Cette réduction reste un objectif depuis 2022, mais dans une logique un peu différente : on peut envisager de relever certains impôts, à condition que la pression fiscale continue globalement à diminuer. Bien entendu, ce qui est réduit ou maintenu inchangé, ce sont les taux, pas les produits. L’hypothèse sous-jacente est qu’en favorisant l’activité économique, l’État engrangera davantage de recettes parce que les contribuables, particuliers comme entreprises, s’enrichiront globalement. C’est un raisonnement cohérent et qui sera confirmé par les faits si l’économie se porte bien.

Mais il y a des domainesl’assiette de l’impôt n’augmente pas en fonction de la prospérité nationale. C’est le cas des redevances des agences de l’eau : une famille riche ne consomme pas beaucoup plus d’eau qu’une famille pauvre de la même taille, à moins qu’elle ne s’offre une piscine dans son jardin. Le riche consommera même moins d’eau du robinet que le pauvre, s’il se met à récupérer l’eau de pluie au pied de ses gouttières ou à creuser un petit puits dans son jardin. Tout ce qu’un pauvre ne peut pas réaliser dans son appartement en HLM.

Si l’on veut augmenter de 20 % les recettes des agences de l’eau, il faudra relever d’autant les redevances qui les financent. C’est bien ce qui est prévu pour le 12programme d’intervention, à partir du 1er janvier 2025. Or rappelons que ces redevances, malgré leur nom, sont classées parmi les impositions de toutes natures depuis une décision du Conseil constitutionnel du 23 juin 1982. Par conséquent, augmenter ces redevances, ce sera bien augmenter des impôts. Ajoutons au passage que ces 20 % couvrent tout juste la hausse des devis des travaux publics, et qu’ils ne pourront ainsi financer des politiques nouvelles qu’au détriment de politiques figurant déjà au 11programme.

Pour les usagers domestiques, selon les dernières statistiques disponibles, une consommation de 120 m3/an est facturée en moyenne un peu plus de 520  toutes taxes comprises, dont 22 % pour les taxes et redevances. Une fois retirées la TVA et la redevance éventuelle pour Voies navigables de France, il reste environ 73  de redevances des agences de l’eau, toujours pour 120 m3/an. Une augmentation de 20 % équivaudrait ainsi à 15  par an et par ménage moyen, ce qui sera insensible en pratique.

Mais le domaine de l’eau ne peut pas s’en tenir à un raisonnement socio-économique, à cause de la valeur symbolique et affective de l’eau. On l’a bien vu après l’entrée en vigueur de la loi du 3 janvier 1992 sur l’eau : le substrat économique de ce texte était fondé sur un doublement des factures d’eau en dix ans, y compris les redevances des agences de l’eau, mais les protestations des usagers ont ralenti cette augmentation. Pourtant, là aussi, il ne s’agissait que de sommes limitées. Mais on n’avait pas pris la peine de rechercher l’accord des abonnés et de leur expliquer la raison de cette décision. Les élus et les gestionnaires de l’eau avaient seulement discuté entre eux.

On retrouve ce comportement dans les annonces qui ont accompagné et suivi la présentation du plan pour l’eau en 53 mesures : le Président de la République a promis une augmentation de 20 % des moyens des agences de l’eau, mais il s’est bien gardé de dire d’où proviendrait cet argent. Ce sont ses ministres qui s’en sont chargés, mais seulement dans des petits cénacles. La semaine dernière encore, Emmanuel Macron a promis de réduire la pression fiscale sur les revenus moyens, « et en même temps » ses ministres ont confirmé que tous les consommateurs d’eau, y compris les revenus moyens, subiraient cette augmentation des redevances des agences de l’eau. Cela nous promet des débats agités à partir de 2025, quand les premières factures arriveront avec ces nouveaux taux. Car dans les factures d’eau, ce ne sont pas les montants que l’on compare, mais les taux.

René-Martin Simonnet

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