o Éditorial : Eau intercommunale

Durant sa brève expérience de terrain en tant que préfète de région du Poitou-Charente et préfète de la Vienne, en 2013 et 2014, Élisabeth Borne semble avoir pris la mesure de la complexité du « millefeuille territorial », comme on appelle couramment en France l’enchevêtrement des niveaux de collectivités territoriales et de groupements de collectivités, en particulier les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI-FP). Et comme tous les préfets, elle a dû jongler avec les compétences morcelées entre ces acteurs publics locaux, en alternant la diplomatie et l’autorité.

Son intervention à la convention de l’association Intercommunalités de France (AdCF), qui regroupe les trois quarts des EPCI-FP, était donc très attendue, vendredi 7 octobre. Allait-elle annoncer une simplification de ce millefeuille, un grand soir de la décentralisation ? Par exemple une transformation des EPCI-FP en collectivités territoriales à part entière, avec une assemblée délibérante élue au suffrage universel direct ? Que nenni ! En devenant Première ministre, elle n’a pas changé de caractère : pragmatique, prudente et modérée.

Dès le début de son discours, elle a ainsi douché les espoirs de certains élus intercommunaux : « Ma première conviction, c’est qu’il faut vous garantir une forme de stabilité institutionnelle et dans vos compétences. Les réformes constantes empêchent une action sereine et dans la durée. Si des ajustements sont nécessaires, nous les examinerons ensemble. » Donc non aux réformes, mais oui à des ajustements éventuels, après mûre réflexion. Se mettre à dos 35 000 maires pour plaire à 1 200 présidents d’EPCI-FP, ce serait un mauvais calcul politique.

Non aux réformes, cela signifie également non aux retours en arrière, en particulier pour ce qui concerne le transfert des compétences d’eau potable et d’assainissement aux intercommunalités. La Première ministre a été très claire à ce sujet : « Vous avez aussi un rôle déterminant à jouer en matière d’eau. Nous avons pour objectif de réduire nos prélèvements d’eau de 10 % en cinq ans et de 25 % en vingt-cinq ans. Nous voulons également améliorer le rendement des réseaux d’eau et d’assainissement, [et] réduire la pollution aquatique. Pour y parvenir, une planification des investissements sur le moyen et le long terme est nécessaire. Et ce sont naturellement les intercommunalités qui sont les mieux placées pour répondre à ces enjeux. C’est à votre échelle que nous pouvons allier [la] cohérence et [l’]efficacité, à la fois pour la production, l’assainissement et la gouvernance. »

Toutefois, Élisabeth Borne n’ignore pas que ce transfert, prévu pour s’achever en 2026, donc durant le présent quinquennat, suscite l’opposition plus ou moins virulente d’une partie des maires ruraux. Fidèle à son tempérament, elle a donc conclu cette partie de son discours par une phrase fort diplomatique et, par conséquent, assez ambiguë : « Évidemment, lorsque la compétence de l’eau est encore partagée avec les communes, la transition doit se faire avec pragmatisme et sans précipitation. » Sans précipitation, cela signifie-t-il que l’échéance actuelle de 2026 pourrait être repoussée ? À ce stade, la Première ministre a laissé toutes les portes ouvertes, selon son habitude. Sans doute préfère-t-elle laisser cette décision à son successeur éventuel.

René-Martin Simonnet

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