Éditorial : Finance verte

La finance verte est un concept séduisant mais imprécis. Un investisseur peut vouloir placer ses fonds dans des activités favorables à la planète et à la nature, plutôt que dans des activités polluantes ou nuisibles pour l’environnement. Cet objectif est louable, mais sa réalisation est ardue : en dehors de certains secteurs bien connus, comme les éco-industries, il est difficile pour un profane de déterminer si une entreprise ou un produit est globalement favorable ou non à la protection de l’environnement. Prenons l’exemple d’une simple tomate issue de l’agriculture biologique : si elle traverse toute la France en camion pour arriver sur votre table, serez-vous capable de déterminer à coup sûr si l’avantage résultant de son mode de production surpasse l’inconvénient de son mode de transport ? Moi pas.

Or le monde de la finance n’aime pas les situations compliquées. Il veut savoir du premier coup d’œil si un placement répond à ses critères. Tel produit financier relève-t-il de la finance verte, oui ou non ? Et s’il s’agit d’un produit dérivé ou composite, son ou ses supports en relèvent-ils, et dans quelle proportion ? Si la réponse n’est pas évidente et nécessite un travail d’expertise, il ira investir ailleurs. Pour simplifier cette situation, certains États se sont efforcés de créer des labels synthétiques, qu’on décerne aux placements favorables à la protection de l’environnement ; mais leurs critères varient d’un pays à l’autre. C’est pourquoi, en 2018, un groupe d’experts de haut niveau a appelé « à la création d’un système techniquement solide de classification à l’échelle de l’Union européenne, pour établir clairement quelles activités sont considérées comme vertes ou durables ».

Le présent règlement répond à cette demande. Il vise à uniformiser les critères qui permettront aux États membres et à l’Union de décerner des labels ou d’en imposer le respect, par exemple pour sélectionner leurs prêteurs : une banque sera refusée si elle n’investit pas une proportion suffisante de ses fonds dans des placements verts. Pour ce faire, il faut être capable de trier le bon grain de l’ivraie, et de démasquer les pratiques d’éco-blanchiment, qui consistent à commercialiser un produit financier en prétendant qu’il est respectueux de l’environnement, alors qu’en réalité les normes environnementales de base n’ont pas été respectées.

Mais la protection de la nature et de la planète est une activité complexe, qui peut prendre une multitude de formes. Un simple règlement ne suffirait pas pour en analyser tous les aspects, et encore moins pour déterminer si les avantages apportés dans ce domaine par une activité économique dépassent les inconvénients qui en résultent. Le présent texte n’est donc qu’un règlement-cadre, que la Commission européenne sera chargée de détailler, secteur par secteur. Dans les prochaines années, elle publiera donc une dizaine de textes d’application, encore plus techniques.

Pour éviter les mauvaises surprises, le législateur européen a toutefois déjà fixé certains points de détail. Il a ainsi proscrit la filière nucléaire, en raison de ses déchets à longue durée de vie, et les centrales électriques utilisant des combustibles fossiles solides… mais pas les hydrocarbures liquides ou gazeux. Certains lobbies sont plus efficaces que d’autres, et on s’en apercevra encore mieux lors de la préparation des textes d’application.

Cet édifice présente toutefois une faiblesse importante : il postule que les investisseurs choisiront d’orienter leurs placements vers des produits financiers et des obligations d’entreprises favorables à l’environnement. Or rien n’est moins sûr. Sans doute les États membres veilleront-ils à ce que leurs investisseurs institutionnels, les fameux zinzins, jouent le jeu ; et leur poids sur les marchés est considérable. Mais il reste tous les autres : on ne peut pas empêcher un milliardaire d’investir dans les centrales à charbon en Chine ou dans les sables bitumineux au Canada. Et si le présent règlement parvient à ses fins, les placements « sales » risquent même de devenir plus attractifs : comme ils auront plus de difficultés à lever des fonds sur les marchés financiers, ils offriront des taux d’intérêt plus élevés.

René-Martin Simonnet

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