o Éditorial : Fusion ?

Au ministère chargé de l’environnement, les ministres et secrétaires d’État se suivent et ne se ressemblent pas. Certains dominent parfaitement le sujet avant même leur nomination, comme Michel Barnier, Corinne Lepage ou Yves Cochet, tandis que d’autres arrivent là presque par hasard et ne laissent pas un souvenir impérissable, comme Philippe Martin ou Brune Poirson. En général toutefois, ils débutent avec une connaissance limitée de ces questions et ils travaillent avec acharnement afin de les maîtriser au bout de quelques mois. Et c’est loin d’être évident : l’environnement est à lui seul un domaine complexe, et le grand ministère créé en 2007 est sans doute le plus polymorphe de tout le gouvernement.

Cet élargissement des connaissances décrit aussi le parcours politique et ministériel de Bérangère Abba, l’actuelle secrétaire d’État chargée de la biodiversité : son intérêt pour l’environnement ne remonte qu’à 2015, dans le cadre éphémère d’une association antinucléaire. Mais une fois élue députée, en 2017, elle s’investit dans ce domaine, en tant que membre de la commission du développement durable de l’Assemblée nationale. Elle cumule dès lors les fonctions dans différents organismes liés à la politique de l’environnement, jusqu’à son entrée au gouvernement le 26 juillet 2020.

Dans ses fonctions ministérielles, elle est également chargée de la politique de l’eau, même si cela ne figure pas dans l’intitulé de son poste. Sans être une experte de ce sujet, elle en maîtrise bientôt les grandes lignes, et même certaines subtilités. Elle l’a notamment démontré lors du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique : alors que son collègue chargé de l’agriculture croyait lui faire avaliser une réforme des projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE), ce qui en aurait fait des outils purement formels au service du développement de l’irrigation, elle l’a obligé à prendre en compte le point de vue des autres acteurs de l’eau. En fin de compte, la nature des PTGE ne sera pas bouleversée.

Mais une ministre fait partie d’un gouvernement et ne peut pas se contenter de défendre le point de vue de son ministère. Il lui est en particulier difficile d’ignorer les priorités et les projets de Bercy envers ses services et les organismes sous sa tutelle. C’est sans doute ce qui explique la surprenante déclaration de Bérangère Abba, le 25 janvier au Sénat, dans le cadre d’un débat sur les agences de l’eau : « Il me semblerait nécessaire de fusionner à terme l’Ademe, l’Office français de la biodiversité et les agences de l’eau. » Même si elle la reprend à son compte, cette idée ne provient absolument pas d’elle, mais bien de Bercy qui la répète depuis quelques années.

Fusionner l’Ademe et l’OFB peut s’envisager, puisque ces deux organismes sont les principaux opérateurs nationaux de l’État dans la politique de l’environnement. D’ailleurs, tous deux ont déjà été créés par la fusion d’organismes antérieurs. Y ajouter les agences de l’eau est en revanche nettement plus problématique, car ces six organismes sont des opérateurs territoriaux de l’État. Chaque agence entretient des liens étroits avec les acteurs de l’eau de son ou ses bassins, qui influencent ses orientations et participent à sa gestion dans les comités de bassin, le conseil d’administration et la commission des aides. Un organisme national perdrait rapidement ces liens.

Quel serait l’intérêt d’une telle fusion ? Ce ne serait ni pour mieux protéger l’environnement, ni pour réduire les dépenses : tous les services qui pouvaient être mutualisés entre les agences de l’eau, ou entre elles et l’OFB, le sont déjà. Selon toute vraisemblance, cet intérêt serait purement budgétaire. L’Ademe est financée par une subvention de l’État pour charges de service public, d’environ 710 M, et l’OFB par une subvention semblable de 40 M, par une partie de la redevance pour pollutions diffuses, pour 40 M, également, et surtout par une grosse contribution des agences de l’eau. Seules ces dernières, avec leurs 2,2 Md, sont entièrement financées par des redevances.

L’idée de créer des redevances sur la biodiversité n’a pas été mise en pratique, à part quelques miettes. Par conséquent, dans l’absolu, un organisme qui regrouperait l’Ademe, l’OFB et les agences alignerait un budget d’environ 3 Md, dont 1,8 Md de redevances sur les factures d’eau des usagers domestiques et 450 M sur d’autres usagers de l’eau. Mais j’ai bien peur que l’État n’en profite pour réduire ses subventions, en échange d’un relèvement des redevances sur l’eau, dont la réforme n’a été que reportée.

René-Martin Simonnet

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