Éditorial : Un petit vert

Cocorico ! La France est la première ! En annexant à son projet de loi de finances pour 2021 un Rapport sur l’impact environnemental du budget de l’État, dit « budget vert », la France est en effet le premier pays au monde à réaliser une budgétisation environnementale à l’échelle de l’ensemble de son budget.

Cet exercice n’est toutefois pas inédit, puisqu’il avait déjà été tenté l’an dernier, également à partir du budget national de la France, par l’Institute for climate economics (I4CE). C’est un organisme 100 % français, malgré son intitulé, et même proche de l’État, puisqu’il a été créé conjointement par la Caisse des dépôts et consignations et l’Agence française de développement. Mais quand l’I4CE avait dû partir à la pêche aux informations, les rédacteurs du présent « budget vert » ont eu accès à toutes les données, puisqu’ils travaillent dans les ministères chargés des finances et de l’environnement.

Ce nouveau concept est défini par les auteurs du rapport comme « une nouvelle classification des dépenses, budgétaires comme fiscales, en fonction de leur impact sur l’environnement, et une identification des ressources publiques à caractère environnemental, permettant d’évaluer la compatibilité du budget aux engagements de la France, en particulier à l’accord de Paris ». Pour nos lecteurs peu familiers du jargon budgétaire, précisons qu’on définit comme dépense fiscale toute forme de réduction ou d’exonération d’impôt, de taxe ou de redevance. Pour Bercy, le seul taux normal d’imposition ou de taxation est le taux le plus élevé, et la fixation d’un ou de plusieurs taux plus bas, y compris le taux zéro, revient à consentir une dépense fiscale au profit des contribuables concernés. Il s’agit là d’une conception vorace de la fiscalité.

Pour évaluer si une dépense budgétaire ou fiscale est favorable ou non à la protection de l’environnement, les auteurs du rapport ont dressé une grille d’évaluation comportant six critères, dont la gestion de la ressource en eau. Ils ont ensuite passé les missions et programmes budgétaires au crible de cette évaluation. Les dépenses qui présentent des avantages pour un ou plusieurs des critères, sans présenter d’inconvénients pour d’autres, sont classées comme favorables ; celles qui constituent une atteinte directe à l’environnement ou incitent à des comportements défavorables à celui-ci sont classées comme défavorables ; celles qui sont à la fois favorables et défavorables sont classées comme mixtes ; et celles qui n’affectent pas clairement la protection de l’environnement sont jugées neutres.

Que ressort-il de cette première évaluation ? Que les dépenses favorables pèsent 38,1 Md, les dépenses défavorables 10 Md, les dépenses mixtes 4,7 Md, et les dépenses neutres… 521,4 Md, soit 90,8 % des dépenses budgétaires et fiscales prévues pour 2021. Ce pourcentage laisse un peu perplexe, mais il se comprend mieux si l’on rentre dans le détail. En réalité, les évaluateurs ont surtout travaillé sur ce qu’ils connaissaient le mieux, c’est-à-dire les budgets de l’agriculture et missions rattachées, de l’écologie et missions rattachées et, plus marginalement, de la transformation publique et du plan de relance. À propos de ce dernier, on notera au passage qu’il prévoit 650 M de crédits pour l’eau et la biodiversité, dont une part importante sera distribuée par les agences de l’eau, grâce à des crédits budgétaires versés par la mission Relance du budget général de l’État. Ce complément s’ajoutera aux 11es programmes d’intervention et n’entraînera ni augmentation des redevances ni relèvement du plafond mordant sur les ressources ordinaires des agences.

Pour le reste, les rapporteurs ont fait preuve d’une grande prudence, en classant comme neutres des dépenses qu’ils n’étaient pas en mesure d’analyser. Certes, une partie du budget de l’État ne peut pas être jugée selon ces critères, comme le paiement de la dette ou les pensions des agents retraités. Mais d’autres dépenses mériteraient d’être observées de près, comme les dotations aux collectivités locales ou les budgets de la police et de la justice : quand un pollueur est débusqué et condamné, la rémunération des policiers et des juges qui y ont contribué est bien une dépense favorable à l’environnement. Pour que ce « budget vert » devienne vraiment un outil de pilotage des politiques publiques, il faudra encore approfondir ce travail, déjà considérable. Pour l’instant, son vert est un peu pâlichon.

René-Martin Simonnet

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