Néonicotinoïdes : le retour

Les pucerons menacent la filière sucrière française. Ces insecticides interdits sont le seul moyen de les combattre à court terme.

Cette loi sanctionne l’échec de la politique française de réduction des pesticides : pour n’avoir pas anticipé les effets de l’interdiction des néonicotinoïdes, le gouvernement a été obligé d’en autoriser de toute urgence le retour dans les champs de betteraves sucrières. La France en est la première productrice mondiale, et c’est toute sa filière de transformation qui est menacée par un virus et par les pucerons qui le propagent.

C’est aussi un petit échec pour le gouvernement, qui aurait préféré ne pas voir la précision « pour les betteraves sucrières » figurer dans son titre, ni une mention analogue ajoutée dans son article 2. Peut-être le ministre de l’agriculture et de l’alimentation avait-il dans l’idée d’autoriser discrètement d’autres pesticides pour d’autres cultures. Toujours est-il que le Parlement a imposé cette restriction.

Interdiction des néonicotinoïdes sauf sur les semences des betteraves sucrières

Dans le principe, l’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d’action identiques est désormais interdite, de même que l’utilisation de semences traitées avec ces produits ; cette interdiction est précisée par un décret. Toutefois, jusqu’au 1er juillet 2023, des arrêtés conjoints des ministres chargés de l’agriculture et de l’environnement peuvent autoriser l’emploi de telles semences pour la culture des betteraves sucrières, à titre dérogatoire.

Ces arrêtés sont pris après consultation d’un conseil de surveillance chargé de suivre et de contrôler la recherche et l’utilisation d’alternatives à ces produits. Il comprend quatre députés et quatre sénateurs, ainsi que des représentants d’une grande masse d’organismes, dont des associations de protection de l’environnement et des apiculteurs.

Les produits en cause sont en effet surtout redoutés pour leurs effets sur les abeilles et les autres insectes pollinisateurs. Ils peuvent toutefois affecter aussi des organismes aquatiques, dans certaines circonstances particulières, et notamment dans le cas présent d’utilisation de semences traitées.

Ce conseil se réunit tous les trois mois pour vérifier si les recherches sur les produits de substitution avancent et si les tests sont efficaces. Quand un produit bénéficie d’une dérogation, il en suit et en évalue les conséquences, notamment sur l’environnement. Il remet chaque année un rapport au gouvernement et au Parlement.

Le décret ne pourra pas « oublier » certaines substances

Saisi par les députés et les sénateurs de gauche, le Conseil constitutionnel a apporté quelques précisions intéressantes. D’abord, si le législateur a laissé à un décret le soin de préciser quelles substances seront interdites, « ce renvoi à un décret ne saurait s’interpréter comme conférant au pouvoir réglementaire la faculté de décider de ne pas soumettre à l’interdiction certaines des substances en cause ». Au contraire, le pouvoir réglementaire devra en établir la liste et pourra seulement y ajouter des substances approuvées par la Commission européenne mais dont il estime qu’elles présentent un risque grave pour la santé humaine ou animale ou l’environnement.

Quant à la dérogation qui constitue le cœur de la présente loi, elle est limitée à la fois dans le domaine d’application, puisqu’elle ne concerne que les semences de betteraves sucrières, et dans le temps, puisqu’elle ne s’applique que jusqu’au 1er juillet 2023.

Elle vise à éviter l’effondrement de cette filière menacée par des maladies virales, ce qui correspond à un motif d’intérêt général. Enfin, la loi elle-même et les textes auxquels elle renvoie encadrent strictement les modalités d’attribution et de mise en œuvre de ces dérogations, en interdisant notamment toute application des produits concernés par pulvérisation. Les dispositions contestées sont donc conformes à la Constitution et à la Charte de l’environnement.

Loi n2020-1578 du 14 décembre 2020 relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières

Conseil constitutionnel : décision n2020-809 DC du 10 décembre 2020 (JO 15 déc. 2020, textes nos 3 et 4).

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