Première partie du budget 2021 : taxe Gemapi, plafond mordant et fonds Barnier

Faut-il relever le plafond mordant sur les agences de l’eau ? Ou plutôt commencer par leur affecter de nouvelles ressources ?

Si le projet de loi de finances pour 2021 comporte un vaste plan de relance, de nombreux députés ont cherché d’autres voies pour accélérer cette relance de l’économie, en augmentant notamment les dotations de l’État au profit des collectivités territoriales.

C’est ainsi que l’amendement n371, présenté par Émilie Bonnivard (Savoie, LR) après l’article 23 du projet de loi, proposait de relever de 16,404 % à 20 % le taux de compensation forfaitaire pour les dépenses éligibles au Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), de l’élargir aux dépenses d’entretien des ouvrages d’art et des infrastructures de l’eau et d’en accélérer le versement aux bénéficiaires.

Le FCTVA n’est pas fait pour des dépenses d’entretien, fit remarquer Laurent Saint-Martin (Val-de-Marne, LaREM), rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire : il « doit être consacré à des dépenses d’investissement, c’est-à-dire propres à modifier véritablement le patrimoine de la collectivité ».

En outre, porter le taux de compensation forfaitaire à 20 % « induirait, compte tenu de la contribution française au budget européen, un taux de TVA théorique de 25 % ». Enfin, « en matière d’investissement local, agir sur la date du remboursement de la TVA ne me semble pas un outil très efficace, et je ne pense pas, d’ailleurs, qu’il s’agisse là de la principale demande des collectivités ». Son avis fut donc totalement défavorable.

L’entretien des réseaux déjà éligible au FCTVA

L’avis d’Olivier Dusspot, ministre délégué chargé des comptes publics, fut également négatif, avec des arguments voisins, à un point près : « L’entretien des réseaux est déjà éligible au FCTVA depuis [la] loi de finances pour 2020 ». Il rappela en outre que l’article 57 du projet de loi en cours de discussion prévoyait l’automatisation du FCTVA et la disparition du système actuel de déclaration par les collectivités bénéficiaires, ce « qui est une des raisons de ne pas trop modifier les assiettes ». L’amendement n371 fut par conséquent repoussé.

Également après l’article 23, Hervé Saulignac (Ardèche, Soc) présenta l’amendement n2015, qui  proposait d’instaurer un prélèvement sur les recettes de l’État au profit des collectivités territoriales bénéficiaires notamment de la taxe pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (Gemapi), pour compenser la disparition de la taxe d’habitation sur laquelle une partie de cette taxe était assise.

Votre amendement est satisfait, lui répondit Laurent Saint-Martin, suivi par le ministre délégué : la taxe Gemapi a bien été intégrée dans le mécanisme de neutralisation prévu lors de la suppression de la taxe d’habitation. Le n2015 fut donc repoussé.

Qui le plafond mordant mord-il ?

L’article 24 porte sur un sujet délicat : le plafonnement des ressources affectées aux opérateurs de l’État et à d’autres tiers. Cela inclut le fameux plafond mordant sur les redevances perçues par les agences de l’eau. La version initiale de cet article prévoyait de le relever de 41 M pour le faire passer à un peu moins de 2,2 Md. Sept amendements, provenant de divers groupes de députés, demandaient la disparition de ce plafond mordant, et donc le déplafonnement des ressources des agences de l’eau. Deux autres proposaient de le relever à 2,8 Md, et quatre autres à 2,35 Md, c’est-à-dire au niveau qui était le sien lors des 10es programmes d’intervention des agences.

Parmi les nombreuses interventions en faveur de ces amendements, il convient de noter celle de Charles de Courson (Marne, LT), un spécialiste reconnu des questions budgétaires : « Qui le plafond mordant mord-il ? Qui est mordu ? Ce sont les usagers ! Je faisais le calcul suivant : dans ma commune, desservie par l’un des réseaux [d’eau potable] les moins chers de tout le département, l’ensemble des impôts représentent aujourd’hui, avec la TVA, la moitié de la facture !

« En moyenne, cette part est moins élevée et tourne autour de 25 % à 30 %. Mais que font les gouvernements successifs ? Ils accablent les agences de l’eau de compétences supplémentaires et diminuent leurs recettes par le biais du plafond mordant ! Voilà la vérité ! Dans ce cas, pourquoi ne pas baisser plutôt les redevances ? C’est totalement aberrant et en totale contradiction avec l’objectif d’une politique intelligente de protection de l’environnement. Nous proposons donc, par ce modeste amendement, de revenir à la moyenne triennale constatée avant la réduction des plafonds.

« Dans le cas de l’agence de l’eau Seine-Normandie, le 11programme a supprimé les aides au fonctionnement des syndicats hydrauliques qui entretiennent les rivières, et d’autres choses encore. Lors des cinq réunions dites de l’eau qui se sont tenues en France, dont l’une était organisée à Châlons-en-Champagne, nous avons demandé à l’unanimité de maintenir cette aide, sans laquelle les rivières se dégraderont de nouveau. Nous l’avons demandé à l’unanimité, toutes sensibilités et origines géographiques confondues. Mais elle a été supprimée ; et ce n’est qu’un exemple parmi bien d’autres. Que voulons-nous, monsieur le ministre délégué ? Intellectuellement, le plafond mordant pour les agences de l’eau est totalement aberrant ! »

Trouver d’autres ressources pour les agences de l’eau ?

Laissant de côté toutes les autres interventions, le rapporteur général répondit uniquement à celle-ci : « En 2020, le plafond ne mord pas. En 2021, selon les projections, il mordrait à hauteur de 1 % – s’il mord. De quoi parle-t-on, franchement ? Ciblons-nous le vrai problème ? Lorsqu’on évoque les ressources des agences de l’eau, ne devrait-on pas plutôt s’interroger sur l’opportunité de trouver d’autres ressources, afin qu’elles puissent financer davantage de projets ? Je crois, si je puis me permettre, que vous vous trompez de combat. Vous parlez d’un plafond mordant qui ne diminue pas, année après année. Il n’y a donc aucune volonté de la part de l’État de grignoter des parts de budget. C’est faux ! Le plafond suit le rendement, le produit de la taxe. L’écart était négatif cette année, si bien que pas un seul centime n’a été récupéré pour le budget général de l’État ; et pour 2021, la projection est minime, de l’ordre de 1 %. Il n’y a donc pas de difficultés liées au plafond.

« Je peux entendre que les agences de l’eau ne parviennent pas à financer tous les projets mais, dans ce cas, j’insiste, il faut trouver des recettes et des ressources supplémentaires. Le plafond mordant, lui, n’est pas à l’origine du problème de financement des agences de l’eau puisque le rendement de la taxe, quoi qu’il en soit, ne serait pas supérieur !

« Déplafonnons si vous le souhaitez, ou bien augmentons-le : les recettes seront les mêmes ! La bataille qu’il faut mener consiste à trouver les ressources supplémentaires qui permettront d’abonder le financement des agences de l’eau. Elle ne passe ni par le déplafonnement ni pas le relèvement du plafond. Avis défavorable sur l’ensemble des amendements. »

Le plafond ne bouge plus depuis 2018

Tout aussi défavorable, le ministre délégué répondit plus largement à tous les intervenants : « Je confirme ce que dit M. le rapporteur général, en précisant que le plafond a été abaissé de 2014 à 2018, ce qui a dégagé des recettes pour l’État, mais que depuis 2018, il n’a pas évolué, en dehors de quelques mesures concernant le périmètre, facilement traçables par tous. Comme l’a indiqué le rapporteur général, le rendement de la taxe s’établit, d’une année sur l’autre, à un niveau proche du plafond.

« J’ajoute, au-delà des agences de l’eau, que lorsqu’une redevance génère une recette bien supérieure au plafond qui a été fixé, le fait que le plafond soit fixé pour plusieurs années permet à l’agence, comme à tout organisme financé par taxe affectée, de réduire la redevance. Cette réduction bénéficie ainsi au contribuable, à défaut de bénéficier à l’usager.

« Nous pouvons avoir de longs débats, en dehors de la discussion du PLF, sur l’idée même de taxe affectée, et nous demander s’il s’agit d’une bonne méthode de financement, suffisamment transparente et responsable. Mais, en l’occurrence, concernant les agences de l’eau, le plafond n’est pas modifié. D’après les prévisions, il sera très légèrement mordant – aux alentours de 15 M – l’année prochaine, après avoir été négatif l’année précédente comme l’a rappelé le rapporteur général, et il demeure un outil de pilotage. Pour ces raisons, j’émettrai un avis défavorable à l’ensemble des amendements. »

Émilie Bonnivard tenta une dernière fois d’infléchir ces avis : « Les agences ont tout de même subi l’effet du plafond mordant pendant des années, alors qu’elles avaient besoin d’investir, ce qui a conduit à un ralentissement réel des investissements sur les réseaux. Cela démontre qu’elles ont effectivement besoin de ressources complémentaires. J’ajoute que les dépenses en faveur de la biodiversité n’étaient auparavant pas incluses dans le budget des agences de l’eau et ne faisaient pas l’objet d’investissements de leur part. » Mais ces amendements furent tous repoussés.

Faut-il conserver le fonds Barnier ?

L’article 25 supprime le fonds Barnier, qui sert pour l’essentiel à indemniser les victimes des inondations. Plus précisément, il le fait absorber par le budget général de l’État, alors qu’il était jusqu’à présent géré par la caisse centrale de réassurance : cela contribuera à réduire le déficit budgétaire de la France. La contribution qui l’alimentait sera remplacée à partir de 2021 par un prélèvement annuel de 12 % sur le produit des primes ou cotisations additionnelles relatives à la garantie contre le risque de catastrophes naturelles, versé par les entreprises d’assurances. C’est le même taux qu’actuellement.

Par son amendement n2125, Fabien Roussel (Nord, GDR) demanda la suppression de cet article : « Ce fonds constitue la principale source de financement de la politique nationale de prévention des risques naturels. Comme le montrent les événements catastrophiques qui ont eu lieu au début du mois d’octobre 2020 dans l’arrière-pays niçois et les catastrophes naturelles qui ont eu lieu récemment outre-mer, le fonds Barnier présente une importance majeure. Il a malheureusement toute sa justification et sa spécificité technique.

« Ce sont les députés ultramarins de notre groupe qui nous ont alertés et qui défendent cet amendement car ils utilisent souvent ce fonds, qu’ils trouvent simple, clair, et mobilisable rapidement par les élus de terrain. Ils sont donc inquiets à l’idée qu’il se trouve, à l’avenir, dilué dans le budget général de l’État. Même si ce fonds est augmenté – ce dont ils se félicitent –, nos collègues craignent qu’en étant intégré dans le budget général de l’État, il cesse d’être aussi accessible et mobilisable qu’il l’est actuellement. »

L’ancien fonds Barnier sera relevé à 205 M€

Le rapporteur général aurait pu relever le paradoxe consistant, pour un député communiste, à défendre un fonds géré par les assurances et à s’opposer à son intégration dans le budget de l’État. Il préféra le rassurer : « Ne craignez pas la rebudgétisation du fonds Barnier : ce qui compte, c’est qu’il soit porté à 205 M et que des ressources soient affectées aux politiques poursuivies à travers son utilisation.

« En tant que parlementaires, nous devrions tous nous réjouir d’une rebudgétisation parce qu’elle permet de mieux contrôler les crédits et de mieux évaluer les politiques menées. […]

« Je suis réellement convaincu que nous n’avons pas intérêt à supprimer l’article 25 et, je vous le dis objectivement, je pense qu’il apporte une amélioration, à la fois, j’y insiste, pour l’exécution de la politique publique concernée et pour le travail des parlementaires. J’émets donc un avis défavorable. » Soutenu par le ministre délégué, il obtint le rejet de l’amendement n2125 et l’adoption de l’article 25.

JOAN CR, 20 oct. 2020, pp. 7636, 7641, 7650, 7651 et 7664.

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