Projet de budget 2021 : pollutions agricoles et retenues collinaires

Le ministre de l’agriculture compte beaucoup sur la loi Asap pour faciliter la création de nombreuses retenues d’eau pour l’irrigation.

Dans le projet de loi de finances pour 2021, les députés ont largement évoqué la question des pollutions agricoles, à l’occasion de l’examen des crédits de la mission Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales.

Par un hasard du calendrier parlementaire, ce débat avait été précédé par le vote final du projet de loi relatif aux conditions de mise le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières. Les députés étaient donc particulièrement sensibilisés à ce sujet, qui a fait l’objet d’un certain nombre d’amendements.

Ce fut d’abord Mathilde Panot (Val-de-Marne, FI) qui présenta l’amendement n1707, visant à créer dans cette mission un nouveau programme, Pollutions liées aux engrais phosphatés et azotés, doté de 10 M. Elle le défendit ainsi : « En septembre 2015, en dépit de nombreuses alertes, la France a été condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne pour non-respect de la directive sur les nitrates, lesquels proviennent à 70 % de l’épandage de lisier et de l’utilisation massive d’engrais azotés par les agriculteurs.

« Si cette situation est connue, elle n’en demeure pas moins alarmante. En raison du faible bouclage du cycle du phosphore et de sa dispersion dans le milieu aquatique, elle provoque son eutrophisation, avec le développement des algues vertes et des cyanobactéries, c’est-à-dire ces algues bleues parfois létales pour les animaux et dangereuses pour l’homme. […]

« Il s’agit d’une source majeure de pollution des nappes phréatiques et de l’ensemble des cours d’eau de France ; 70 % du territoire national est désormais concerné. Il convient donc, au nom du principe du pollueur-payeur, d’instaurer une taxe sur les engrais phosphatés et azotés destinés aux exploitants agricoles. Notre proposition est réaliste compte tenu des données disponibles : grâce aux travaux de techniciens qui réalisent consciencieusement des études des sols, nous connaissons précisément les quantités d’azote et de phosphore qui s’y trouvent. Il nous paraît urgent de nous attaquer à cette pollution. »

Une taxe sur les engrais ? Non, mais peut-être oui

Le rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, Hervé Pellois (Morbihan, LaREM), rendit un avis défavorable, mais pas tant que cela : « Je ne crois pas que vous soyez dans le vrai lorsque vous dites que les pouvoirs publics ne font rien contre l’utilisation excessive d’engrais. […] En revanche, votre suggestion d’instaurer une taxe sur les engrais azotés et phosphatés mériterait effectivement un véritable débat. Le moment n’est pas opportun pour le tenir, mais peut-être pourra-t-il avoir lieu lorsque viendra en discussion le projet de loi destiné à traduire les travaux de la convention citoyenne sur le climat ? »

Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation, s’étant contenté d’un bref « défavorable », Mathilde Panot revint à la charge : « Des pays nous ont précédés dans la voie que je propose. Nous déposons pareil amendement depuis maintenant plusieurs années et on nous répond toujours que ce n’est pas le moment d’instaurer une taxe sur les engrais phosphatés et azotés.

« Or elle existe déjà au Danemark et aux Pays-Bas, où elle s’élève respectivement [à 0,70 /kg et à 0,35 /kg]. Il est donc possible de la créer en France. Nous en avons impérativement besoin si nous voulons protéger nos ressources en eau, dont la pérennité, comme vous le savez, est fortement menacée. » L’amendement n1707 fut néanmoins repoussé.

Le plan de relance soutiendra la réduction des pesticides

Les nos 424 et 425, défendus par Stéphane Viry (Vosges, LR), proposaient d’affecter plusieurs millions pour soutenir les exploitations agricoles désireuses de réduire leur utilisation d’intrants, en particulier de glyphosate. Ce souci a été pris en compte dans le plan de relance, répondit le rapporteur spécial en rendant un avis défavorable.

Le ministre se montra nettement plus ouvert sur cette question : « Le sujet est très important. Dans les prochains jours ou les prochaines semaines – selon les contraintes liées à la crise que nous traversons –, la ministre de la transition écologique et moi-même ferons le point sur le glyphosate en indiquant ce qu’il reste à faire pour trouver des solutions alternatives là où elles s’avèrent nécessaires.

« Comme vous l’avez vu, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), a déjà publié de nouvelles autorisations de mise sur le marché permettant de réduire significativement l’usage du glyphosate et, lorsque des solutions alternatives techniques et économiques existent, de cesser l’utilisation de ce produit.

8 M€ de plus pour la recherche sur le glyphosate

« Une des conclusions du débat qui nous a encore occupés au début de cet après-midi, c’est que nous devons mettre encore plus l’accent sur la recherche. Je vais justement annoncer la mobilisation de 7 ou 8 M supplémentaires pour la recherche sur le glyphosate, ce qui est précisément ce que réclame l’amendement n425. » Il demanda donc le retrait de ces deux amendements. Fort de cette assurance, Stéphane Viry s’exécuta et retira les nos 424 et 425.

Deux amendements identiques étaient ensuite en discussion, le n1250 déposé par le rapporteur spécial, et le n1459 par Dominique Potier (Meurthe-et-Moselle, Soc) qui les exposa ainsi : « J’ai déjà longuement évoqué le plan Écophyto, dont chacun admet qu’il est en panne. Il ne s’agit pas ici de faire le procès de quiconque, mais de savoir si, compte tenu des épisodes que nous avons connus à propos des néonicotinoïdes et du glyphosate, nous n’avons pas besoin d’adopter en la matière un dispositif plus puissant. Je crains en effet que, si notre recours au Conseil d’État n’aboutit pas, le levier des certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP), ne soit abandonné, ce que je regretterais profondément.

Les fermes Déphy seraient-elles la solution ?

« Parmi la douzaine de mesures dont tout le monde s’accorde à dire qu’elles permettraient de résoudre les problèmes actuels figure le dispositif des fermes Déphy – Démonstration, expérimentation et production de références sur les systèmes économes en phytosanitaires –, véritable laboratoire vivant de l’expérimentation. De fait, lorsque j’étais responsable du plan Écophyto, je ne pouvais pas faire un déplacement sans que quelqu’un me parle d’une ferme Déphy dont la pratique allait beaucoup plus loin que ce que je décrivais.

« Ce dispositif permet donc véritablement un changement par le bas, au sein même des fermes, dans des écosystèmes différents. Nous avions porté de 2 000 à 3 000 le nombre de fermes concernées et notre rêve était alors de faire de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) le vecteur d’un développement permettant d’atteindre les 30 000 fermes. Avec un coefficient sept correspondant à celui des années 1960, on pouvait imaginer entraîner ainsi 200 000 agriculteurs vers l’agro-écologie.

« C’est ce nous vous proposons d’amorcer avec cet amendement, au coût budgétaire modeste (NDLR : 450 000 ), qui a été adopté en commission des finances. J’espère, monsieur le ministre, que vous soutiendrez ce qui constituerait un signe en faveur du renforcement du plan Écophyto. »

Cette invitation ne laissa pas le ministre insensible : « Comme je l’exprimais ce matin, je crois profondément au dispositif Déphy, qui ne concerne d’ailleurs pas tant la recherche que sa vulgarisation. Une des grandes difficultés auxquelles sont confrontées les politiques publiques est en effet de parvenir à diffuser des éléments issus de la recherche.

Une petite rallonge pour le plan Écophyto

« Le plan Écophyto se voit déjà affecter 13 M. Mais vous disposez de toutes les données et pouvez juger de l’opportunité de transférer des crédits d’un programme vers un autre. Si la représentation nationale, à l’instar de la commission des finances, estime utile de consacrer 450 000  au financement de ce projet précis, je m’en remettrai à sa sagesse. » Les amendements nos 1250 et 1459 furent ainsi adoptés par 57 voix contre 2.

Tout guilleret, Dominique Potier présenta ensuite l’amendement n1449, qui visait modestement à affecter 100 000  pour soutenir la recherche sur les retenues collinaires : « Pouvez-vous vous engager à ce qu’on mette de la science et de la raison dans les discussions relatives aux cycles de l’eau ? Est-il possible d’engager sur ce sujet un débat démocratique de qualité afin de permettre aux territoires de prendre, en conscience, des décisions qui nous réconcilient au lieu de nous opposer ? Le propos n’est pas qu’un lobby gagne contre l’autre.

« Comme vous, je déteste les caricatures et tous les excès dans la vie publique. Sur cette question sensible qui prend de plus en plus d’importance, ne recommençons pas les mêmes débats que sur les pesticides ou les énergies renouvelables : efforçons-nous de mener des politiques territoriales et citoyennes qui nous réconcilient ! »

Cette fois-ci, le rapporteur spécial ne lui apporta pas son soutien : « Nous avons déjà discuté un peu de ces sujets ce matin. La loi d’accélération et de simplification de l’action publique (Asap) donnera, nous l’espérons, quelques facilités dans ce domaine. Je suis certes favorable à ce que nous travaillions sur ces questions, mais je ne vois guère l’intérêt de débloquer 100 000  de crédits comme le propose l’amendement. Je vous invite donc à le retirer. »

À l’inverse, le ministre s’y montra favorable sur le fond, sinon sur la forme, et prit même clairement position sur la question : « Je fais partie de ceux qui considèrent que, jusqu’à preuve du contraire, l’agriculture a besoin d’eau. Aux prêcheurs qui tentent de nous faire croire qu’elle pourrait s’en passer, je réponds que je ne demande qu’à voir, mais que je doute du résultat.

« Cela étant, nous devons améliorer la gestion de l’eau. Notre pays a été pionnier en la matière – je pense à la Société du canal de Provence, à la Compagnie Bas-Rhône Languedoc et à tous les aménagements déjà réalisés dans ce domaine. Cependant, le changement climatique voit ses effets s’accentuer sans que les infrastructures ne suivent. Et au moment précis où les retenues d’eau auraient dû être créées en plus grand nombre, le débat sociétal est devenu plus compliqué. […]

La loi Asap facilitera les retenues collinaires

« Je suis un farouche défenseur de la création de nouvelles retenues, individuelles ou collectives. Mais il faut procéder avec méthode, et cela commence par une indispensable concertation. Les conflits d’usage de l’eau sont vieux comme le monde, ils sont nés lorsque l’homme est devenu sédentaire. C’est dire combien il est compliqué de les résoudre et qu’il faut les affronter avec beaucoup de sérénité. C’est l’objectif des dispositifs tels que les projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE). S’il faut de la concertation, il ne faut pas non plus qu’elle dure trop longtemps, sinon on n’arrive pas à atterrir. De ce point de vue, je salue les avancées de la loi Asap.

« Enfin – et je le dis là aussi avec beaucoup de sérénité – l’honneur du débat politique est de reconnaître qu’une fois la concertation achevée, il faut avancer.

« Je vois, dans les Deux-Sèvres par exemple, des leaders politiques manifester contre des projets qui ont fait l’objet de toutes les concertations possibles et que tout le monde a signés, à part quelques-uns, qui de toutes les manières n’auraient jamais été d’accord et alors que ces projets sont conformes à toutes les réglementations en vigueur. Que certains préfèrent tenir des propos d’estrade plutôt que d’obtenir des avancées positives via la concertation et la simplification, cela me désole. » Malgré ce soutien de poids, l’amendement n1449 fut retiré.

AN, 30 oct. 2020, 2séance.

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