Projet de budget 2021 : le problème de l’eau en Guadeloupe et à Mayotte

L’État est prêt à déroger aux principes budgétaires et à investir largement dans les réseaux d’eau en Guadeloupe.

Difficile de parler de la mission Outre-mer, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2021, sans évoquer la situation de certaines collectivités d’outre-mer en matière d’eau. À l’Assemblée nationale, ce sujet vint en débat à l’occasion d’un amendement n2199 demandant « un rapport sur la gestion financière ayant conduit au délabrement des réseaux d’eau et d’assainissement en outre-mer ».

Il fut présenté par Bénédicte Taurine (Ariège, FI) : « Il s’agirait d’évaluer les manquements en matière d’investissements passés, et d’établir le coût des investissements publics qui doivent être engagés pour rénover le réseau. Le constat est accablant : la qualité du réseau d’eau dans les outre-mers est déplorable, et les habitants subissent des tours d’eau qui ont un impact insupportable sur leurs conditions de vie. La moitié de l’eau se perd en fuites dans le réseau. »

L’eau potable : un problème majeur en Guadeloupe

C’est vrai, reconnut le rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, Olivier Serva (Guadeloupe, LaREM) : « Le problème de l’eau est d’une gravité criante en Guadeloupe et, plus généralement, dans les outre-mers. Puisque vous avez dit, monsieur le ministre, qu’il vaudrait mieux que les rapports soient réalisés par les parlementaires eux-mêmes, je saisis la balle au bond : je soumettrai bientôt à notre président de groupe une idée que j’ai d’ailleurs déjà évoquée auprès du président de l’Assemblée nationale.

« Il est en effet important que nous fassions toute la lumière sur les dysfonctionnements qui existent depuis plusieurs décennies en Guadeloupe et ailleurs, où ils ont des conséquences dramatiques pour les populations. Je demande donc le retrait de votre amendement, madame la députée, car nous voulons aller plus loin en nous saisissant nous-mêmes du problème, en tant que parlementaires. »

Sébastien Lecornu, ministre des outre-mers, se montra tout aussi volontariste sur la question, tout en défendant l’action de l’État dans ce domaine : « M. le rapporteur spécial a raison : tout ce qui permettra de faire la lumière sur la situation de l’eau ira dans le bon sens. Lors des questions au gouvernement, votre intervention m’avait piqué au vif ; je ne veux pas qu’on laisse croire que le gouvernement – ou l’État, d’ailleurs – ne prend pas ses responsabilités.

L’État investira en complément des collectivités

« De nombreux parlementaires ici présents pourraient témoigner du fait que l’État abonde de plus d’une centaine de millions d’euros, compte tenu des 50 M du plan de relance, non seulement sur des compétences qui ne sont plus les siennes – à la rigueur, cela peut se comprendre –, mais surtout en contrariant le grand principe selon lequel “l’eau paie l’eau” : les factures d’eau financent les investissements des collectivités.

« Si nous dérogeons ainsi à toute forme de droit commun, c’est bien, précisément, parce que nous prenons nos responsabilités, et parce que nous ne nous satisfaisons pas d’une situation qui est dramatique. Le Covid-19, de ce point de vue, n’arrange pas les choses.

« Lorsque j’étais secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, je me suis beaucoup investi sur la question de l’eau, avec une approche fondée sur mon expérience d’élu local. Il a fallu prendre des décisions courageuses et pas toujours populaires, comme la dissolution du Syndicat intercommunal d’alimentation en eau et d’assainissement de la Guadeloupe (Siaeag), que j’ai décidée par décret. Je ne veux pas que l’on fasse le procès des élus locaux, car il serait trop facile d’aller chercher partout des responsables. Sur cette question de l’eau, nous avons un devoir d’unité.

Pas assez d’eau dans les retenues de Mayotte

« Le problème est d’ailleurs plus large : des tours d’eau sont également organisés à Mayotte, pour d’autres raisons qu’en Guadeloupe, en particulier l’accroissement démographique et la difficulté d’accès à la ressource en tant que telle, compte tenu de la situation des retenues collinaires. Il faut éviter de faire des amalgames entre les différents territoires, car ils sont soumis à des réalités diverses et complexes.

« En Guadeloupe, la difficulté ne tient pas à la production de l’eau potable – on en produit suffisamment – mais à son acheminement et à sa distribution ; elle est liée à des problèmes de fuites, de pression mais aussi d’équilibre du réseau sur l’ensemble de l’archipel. C’est une question de solidarité : dans un environnement insulaire, et tout particulièrement sur les questions d’eau, les différentes autorités de gestion ont le devoir de se montrer solidaires.

Quand il n’y a plus d’eau, on ne paie pas la facture

« Je réunirai vendredi, en visioconférence, plusieurs élus locaux des différentes communautés d’agglomération concernées, et je vous prie vraiment de croire que nous prenons nos responsabilités en la matière. Dans ce domaine, en effet, un cercle vicieux risque de s’installer – quand l’eau ne coule plus du robinet, on est évidemment incité à ne pas payer sa facture – et nous devons réussir à rompre ce cercle. C’est un dossier très délicat qui doit nous rassembler ; sur place – je m’adresse notamment aux députés de Guadeloupe –, personne ne comprendrait que l’on fasse de la politique sur une question si sensible, et nous devons désormais nous efforcer de trouver des solutions. […]

« L’ingénierie nécessaire est sur la table, et l’argent le sera ; nous avons renforcé la direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Deal) de la Guadeloupe il y a deux ans pour qu’elle puisse prendre en charge la question. C’est désormais l’exécution qui doit primer. Je demande le retrait s’agissant du rapport en tant que tel, mais si l’Assemblée nationale souhaite se saisir du sujet pour comprendre ce qui s’est passé, évaluer ce qui est fait et examiner dans le détail la situation, cela fait partie de ses prérogatives et le gouvernement sera évidemment à sa disposition. » Ainsi rassurée, Bénédicte Taurine retira l’amendement n2199.

AN, 5 nov. 2020, 1re séance.

NDLR : le ministre ne veut pas aller chercher des responsables, soit. Mais en Guadeloupe, la mauvaise gestion du Siaeag a fait l’objet d’un rapport dévastateur de la chambre régionale des comptes. Et quand elle a demandé au président du syndicat pourquoi il prenait des chambres d’hôtel à 600 € la nuit sur le budget de son organisme, au lieu de boucher les fuites, celui-ci a seulement répliqué que les magistrats s’étaient ralliés à un complot politique contre lui.

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