o Réviser la directive-cadre sur l’eau ?

Le climat change, les indicateurs sont modifiés : le calendrier ne sera pas tenu. Mais personne ne semble s’en inquiéter.

Si tous les participants à un débat sont du même avis, à quelques nuances près, ils n’ont aucune difficulté à s’accorder sur un consensus, en laissant de côté certaines questions dérangeantes. C’est pourquoi la visioconférence organisée par l’Académie de l’eau, mercredi dernier dans le cadre du CGLE numérique, a un peu laissé les auditeurs sur leur faim.

Le sujet aurait pu être explosif : faut-il réviser la directive-cadre sur l’eau (DCE) ? Cette question globale aurait pu se décliner de multiples manières : faut-il renforcer ses exigences ? Ou au contraire les assouplir ? Est-il pertinent de maintenir le calendrier initial, qui prévoit que toutes les masses d’eau seront en bon état, ou dans un état analogue, avant 2028, alors que moins de 50 % d’entre elles le sont au bout de vingt ans ? Et même si l’on s’en tient à l’objectif négocié de 66 % des masses d’eau en bon état dans six ans, est-ce réaliste ?

Après avoir évalué le texte, la Commission européenne a jugé inutile de le réviser, a rappelé en préambule Bettina Doeser, chef de l’unité Qualité de l’eau à Bruxelles : ce n’est pas la DCE qui pose problème, mais son financement et sa prise en compte par les autres politiques de l’Union et des États membres.

La France doit insister sur les pollutions agricoles

La France est loin d’être le plus mauvais, notamment en matière de concertation, mais elle doit être plus exigeante en matière d’hydromorphologie et de pollutions diffuses agricoles. Pour accélérer leurs actions, a-t-elle souligné, les États membres ont intérêt à utiliser les financements européens, en particulier le pacte vert pour l’Europe, plus connu sous le nom de green deal. Un exercice que les acteurs français de l’eau maîtrisent assez mal…

Il est vrai que la France ne comptait que 44 % de masses d’eau en bon état en 2019, contre 41 % en 2009, a reconnu Olivier Thibault, directeur de l’eau et de la biodiversité. Mais c’est parce qu’un nouvel indicateur a été ajouté entre-temps. Si nous en étions restés aux indicateurs initiaux, nous aurions déjà dépassé 55 % et les 66 % auraient été atteints en 2027. Pour le représentant de l’État, il ne sera pas nécessaire de modifier la DCE : il suffira d’en appliquer toutes les dispositions.

Les objectifs moins stricts remplaceront les reports

Et puisqu’elle ne permet plus de reports au-delà de 2027, le ministère de la transition écologique a l’intention de fixer à titre temporaire des objectifs moins stricts, comme le permet l’article 4, paragraphe 5 ; la différence sera subtile. Olivier Thibault a toutefois averti que le changement climatique compliquerait l’atteinte du bon état, notamment avec la multiplication des assecs en été.

Ce n’est pas la DCE qu’il faut modifier, mais notre approche de la gestion de l’eau, a également plaidé Jacques Ganoulis, ancien secrétaire d’État spécial pour l’eau en Grèce. Ce texte prend en compte les trois piliers du développement durable dans une approche intégrée : le pilier environnemental, avec des diagnostics aboutissant à des prescriptions pour remédier aux problèmes qualitatifs et quantitatifs ; le pilier économique, avec une évaluation et une répartition des coûts ; et le pilier social, avec la consultation du public et des acteurs de l’eau.

Mais la faiblesse de la démarche actuelle provient d’une prise en compte insuffisante des impacts humains : « Il faut conserver le point de vue hydrocentrique mais modifier notre point de vue anthropocentrique, selon lequel l’homme domine la nature et peut résoudre les problèmes comme un super-ingénieur. La gestion de l’eau est un problème socio-technique, pas seulement technique. » Et pour ce faire, il faut privilégier la réduction des impacts à la source, plutôt que de combattre les effets dans les milieux.

Compléter le green deal par un blue deal

Pour Jean Launay, président du Comité national de l’eau et du Partenariat français pour l’eau, l’une des conditions essentielles de la réussite de la DCE sera le verdissement de la politique agricole commune, en cours de renégociation. En outre, le green deal devrait intégrer un blue deal, qui permettrait de faire de l’eau une politique transversale dans l’Union européenne.

L’eau a en particulier un rôle majeur à jouer dans l’adaptation au changement climatique, et la politique de l’eau sera indispensable pour permettre à l’Union de respecter ses engagements pris en application de l’accord de Paris. Et ce raisonnement doit aussi s’appliquer à la France, ce qui lui impose de sécuriser les financements de la politique de l’eau, et donc de trouver d’autres ressources pour développer la politique de la biodiversité.

Le problème de la DCE ne réside pas dans son texte, mais dans le système d’évaluation de l’état des masses d’eau, a insisté Martin Gutton, directeur général de l’agence de l’eau Loire-Bretagne. Il est compliqué, difficile à expliquer et démotivant : il prend en compte 33 indicateurs, et le déclassement d’un seul d’entre eux entraîne le déclassement de tout l’état de la masse d’eau concernée. C’est pourquoi Loire-Bretagne a choisi de ne pas se focaliser sur eux, mais de mettre en avant les progrès constatés, afin d’encourager ceux qui œuvrent pour la qualité de l’eau.

Un effet stimulant sur la surveillance des eaux

Dans une telle optique, la DCE a un effet stimulant ; par exemple, le bassin Loire-Bretagne surveille désormais 98 % de ses masses d’eau, contre 43 % il y a quinze ans. Le grand défi à venir sera le dérèglement climatique, qui risque d’effacer les efforts déjà réalisés. Même dans un bassin aussi arrosé que Loire-Bretagne, la question de la gestion quantitative est de plus en plus sensible.

Et Michel Lafforgue, directeur de projet chez Safege, Suez consulting, a enfoncé le clou : la DCE n’a pas pris en compte le changement climatique, à commencer par la multiplication des cours d’eau intermittents. Comment évaluer l’état d’une masse d’eau dont le seul débit d’étiage provient des rejets des stations d’épuration ?

Pour parvenir à atteindre le bon état, et surtout à le préserver, il faudra appliquer de nouvelles recettes que l’Union européenne commence seulement à envisager : il faudra faire évoluer l’agriculture et la sylviculture en privilégiant des variétés moins consommatrices d’eau, en repoussant les ravageurs grâce au mélange des espèces végétales, et en proscrivant les coupes franches en forêt. Il faudra privilégier les stockages souterrains plutôt que les retenues superficielles, en réinjectant l’eau épurée dans les aquifères, et développer massivement le recours à des ressources alternatives.

La conclusion qu’on pourrait tirer de ce débat est que ce n’est pas la DCE qu’il faut réviser : c’est toute la politique d’occupation des sols et d’utilisation des ressources naturelles, à l’échelle de l’Union européenne. Une fois de plus, l’eau est le révélateur et la victime des erreurs humaines.

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