Délais de recours dans le contentieux administratif des travaux publics

Les personnes morales de droit privé ne bénéficient d’aucun privilège dans ce domaine, sauf quand elles sont chargées d’une mission de service public administratif.

Cet avis du Conseil d’État concerne le domaine de l’eau, mais il porte plus largement sur le contentieux administratif des travaux publics. Il précise les délais de recours applicables aux recours dirigés contre certaines personnes morales de droit privé.

La communauté de communes du Centre Corse, dont le siège est situé à Corte (Haute-Corse) est notamment compétente en matière d’assainissement, ce qui peut désormais inclure dans certains cas le traitement des eaux pluviales. Elle est équipée d’une station de traitement des eaux pluviales et d’un bassin d’orage, qui ont fait l’objet de divers travaux. Ce chantier a connu des retards, et des désordres sont apparus après coup.

La communauté de communes a saisi le tribunal administratif de Bastia pour qu’il condamne son assureur à l’indemniser au titre de son contrat d’assurance concernant les dommages aux biens, et aussi les trois assureurs des trois entreprises intervenues sur le chantier.

Le TA a rejeté son recours contre le premier assureur, pour un motif qui n’est pas expliqué ici, et aussi ses conclusions contre les trois autres, car elles ont été portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître. Ce dernier point est évident, puisqu’il n’existe aucune relation relevant du droit administratif entre la communauté de communes et ces assureurs : il aurait fallu saisir un tribunal de l’ordre judiciaire.

Quel délai pour déposer des conclusions subsidiaires ?

Dans un tel cas, la procédure suivie devant la justice administrative permet au requérant de modifier sa demande, en déposant des conclusions subsidiaires. C’est ce que fait la collectivité, en demandant désormais que les trois sociétés intervenantes soient condamnées à réparer le préjudice qu’elle estime avoir subi.

Mais les avocats des sociétés opposent à cette demande l’article R. 421-1 du code de justice administrative, qui fixe un délai général de deux mois pour les recours devant un juge administratif. En l’occurrence, ce délai est dépassé. La communauté de communes réplique que cet article ne s’applique pas dans le cas présent, et qu’elle peut modifier sa requête sans limitation de délai. Le TA de Bastia demande son avis au Conseil d’État.

Celui-ci confirme d’abord que l’obligation « de former recours dans les deux mois contre une décision préalable, est en principe applicable aux recours relatifs à une créance en matière de travaux publics », depuis l’entrée en vigueur de la rédaction actuelle de l’article R. 421-1 le 1er janvier 2017.

Personne privée chargée d’une mission de service public administratif

Il ajoute que rien ne permet d’exclure de cette obligation les décisions « prises par des personnes privées, dès lors que ces décisions revêtent un caractère administratif ». Ce dernier point provient de la définition de l’administration, telle qu’elle figure dans l’article L. 100-3 du code des relations entre le public et l’administration : cela inclut « les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif ».

Toutefois, « aucune disposition législative ou réglementaire ni aucune règle générale de procédure ne détermine les effets du silence gardé sur une demande par une personne morale de droit privé qui n’est pas chargée d’une mission de service public administratif ». Aucune disposition ne détermine non plus les effets du silence gardé par une telle personne privée sur une demande qui lui a été adressée. Dans ces conditions, « les conclusions, relatives à une créance née de travaux publics [et] dirigées contre une telle personne privée, ne sauraient être rejetées comme irrecevables faute de la décision préalable prévue par l’article R. 421-1 du code de justice administrative ».

L’article R. 411-1 du même code permet de régulariser une requête devant une juridiction administrative par le dépôt d’un mémoire exposant un ou plusieurs moyens, mais uniquement jusqu’à l’expiration du délai de recours. En l’occurrence, comme il vient d’être démontré, il n’existe aucun délai de recours applicable à un recours relatif à une créance née de travaux publics et dirigé contre une personne morale de droit privé qui n’est pas chargée d’une mission de service public administratif.

En conséquence, « il ne peut être opposé à l’auteur d’un tel recours aucun délai au-delà duquel il ne pourrait, devant la juridiction de première instance, régulariser sa requête au regard de l’article R. 411-1 du code de justice administrative ou formuler des conclusions présentant le caractère d’une demande nouvelle car reposant sur une cause juridique distincte de celle invoquée dans sa requête ». Les conclusions subsidiaires de la communauté de communes du Centre Corse sont donc recevables, ce qui toutefois ne préjuge pas de leur sort final.

Avis no 448467 du 27 avril 2021 (JO 7 mai 2021, texte n89).

NDLR : il n’y a que très peu de « personnes morales de droit privé chargées d’une mission de service public administratif » : ce sont pour l’essentiel les ordres professionnels (CE Ass., 2 avr. 1943, no 72210) et les organismes de sécurité sociale (CE Ass., 13 mai 1938, no 57302).

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