Éditorial : Majorité relative

Même si l’un des objectifs de la Constitution de la VRépublique était d’assurer une majorité absolue à l’Assemblée nationale, la France a connu depuis 1958 quelques périodes de majorité relative. La dernière, en 1988, s’est caractérisée par un jeu de yoyo permanent, surtout quand le Premier ministre fut Michel Rocard. La majorité socialiste est parvenue à appliquer la plus grande partie de son programme, dont la loi sur l’eau de 1992, en s’appuyant tantôt sur les communistes, tantôt sur les centristes. Ce fut aussi une période d’utilisation intense du vote bloqué, prévue par l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. Comme le groupe communiste refusait de voter les motions de censure déposées par la droite en réaction à ces 49-3, et vice versa, personne ne put rassembler la majorité absolue nécessaire pour faire tomber le gouvernement.

La période qui vient de s’ouvrir a donc un petit goût de déjà-vu, et la Première ministre a déjà annoncé mercredi dernier, dans son discours de politique générale, qu’elle rechercherait des majorités au cas par cas sur chaque texte, en prenant tout le temps nécessaire pour combiner les priorités des uns et des autres. Seuls les extrémistes seront exclus de cette recherche du compromis. Toutefois, à la différence de Michel Rocard, Élisabeth Borne ne pourra pas user ad libitum du 49-3 : depuis une réforme de 2008, elle ne peut y recourir qu’une fois par session, en plus des lois de finance et de financement de la sécurité sociale.

En règle générale, sous la VRépublique, le parcours d’un projet de loi est assez simple : le texte est élaboré par les ministères intéressés, discuté en interministériel, arbitré si nécessaire par Matignon, puis modifié à la marge par quelques amendements parlementaires avant d’être définitivement voté. Désormais, il faudra négocier pendant l’élaboration puis à nouveau pendant les débats parlementaires. Rien ne permet de prédire que le texte définitif reprendra celui qui aura été adopté en conseil des ministres. Autrement dit, les rédacteurs des ministères ne fourniront plus un texte quasiment définitif, mais seulement une base de discussion.

Cette gymnastique complexe semble encore difficile à accepter par les acteurs et les observateurs de la vie politique française, qui n’en ont pas l’habitude. C’est ainsi que la direction de l’eau et de la biodiversité (DEB), au ministère chargé de l’environnement, fait circuler ces temps-ci sa dernière proposition de réforme des redevances des agences de l’eau, en prévoyant qu’elle sera adoptée dans le cadre du prochain projet de loi de finances. C’est très présomptueux, même si la Première ministre peut l’imposer en recourant au 49-3 sur chaque loi de finances, comme je l’ai expliqué plus haut. Rien ne dit qu’elle s’y risquera, d’autant moins qu’elle a promis mercredi dernier de ne pas augmenter les impôts. Or l’un des points principaux de cette proposition est de transformer la redevance pour modernisation des réseaux de collecte et, au passage, de l’étendre aux usagers de l’assainissement non collectif. Il s’agirait bien là d’un alourdissement de la fiscalité.

D’après quelques éléments annoncés lors de l’assemblée générale de la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau (FP2E), également mercredi dernier, notamment par le président de sa commission économique et juridique, Hugues d’Antin, un autre point envisagé l’an dernier a été retiré de cette réforme. La DEB voulait revenir sur le vieux compromis négocié avec la puissante Association des maires de France (AMF), et faire payer les redevances d’assainissement par les gestionnaires des stations d’épuration, et non plus par les abonnés comme c’est le cas actuellement. Mais l’AMF et la FP2E ont su trouver les arguments pour préserver le statu quo à ce sujet.

Une autre proposition est également passée à la trappe, mais la DEB ne l’avait de toute façon pas retenue. Selon Daniel Belon, directeur adjoint de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), il s’agissait d’étendre le système de la responsabilité élargie du producteur (REP) aux produits qui dégradent la qualité de l’eau. Pour l’essentiel, les pesticides et les engrais de synthèse. Il reste à savoir si la FNCCR va tenter d’y intéresser un groupe parlementaire, et de la faire revenir par amendement dans le projet de loi de finances. Car désormais, la loi s’écrira aussi au Parlement.

René-Martin Simonnet

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