Éditorial : Réforme sans vote ?

Décidément, la réforme des redevances des agences de l’eau ne sera pas discutée cette année au Parlement, alors même qu’elle figure dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2024. Sous l’effet d’un 49-3 de plus, les députés ne l’ont pas abordée en séance publique, et leur commission des finances n’y a consacré qu’un petit quart d’heure. On pouvait donc espérer que les sénateurs prendraient le temps de débattre sur le fond de cette réforme qui les intéresse en tant que représentants des collectivités locales.

Mais la commission des finances du Sénat ne l’entendait pas de cette oreille. Son rapporteur général, Jean-François Husson (Meurthe-et-Moselle, LR) avait déjà donné le ton dans son rapport : « De manière générale, la réforme n’a pas été menée suffisamment en concertation avec les collectivités territoriales. D’après des représentants d’élus, les simulations chiffrées n’ont été présentées que huit jours avant la présentation de la réforme au Comité nationale de l’eau du 14 mars 2023, ce qui n’avait pas permis aux collectivités d’apprécier les conséquences de la transformation de la redevance pour la modernisation des réseaux de collecte sur leurs territoires. Enfin, la création d’une redevance pour atteinte à la biodiversité, qui avait pourtant fait l’objet d’un engagement, n’est pas non plus présente dans l’article 16. » Le rapporteur général a donc proposé un amendement de suppression de cet article.

Lors de la séance publique du 27 novembre, Hervé Gillé (Gironde, SER) a bien tenté de préserver cet article, avec deux arguments : il faudra du temps aux agences de l’eau pour préparer cette réforme, et l’adoption d’un amendement de suppression empêchera les sénateurs d’adopter d’autres amendements visant à améliorer le dispositif. À quoi Jean-François Husson a répondu qu’il était nécessaire de poursuivre la concertation pour améliorer les mesures prévues : « La réforme doit entrer en vigueur à compter du 1er janvier 2025. Vous avez vous-même indiqué que l’on avait manqué de temps, qu’il y avait eu trop peu de concertation. Arriver avec des conclusions huit jours avant la décision, c’est un peu court. Donnons-nous un peu de temps. Nous avons treize mois. Si le travail est bien fait, nous serons prêts à la mi-2024. »

Le ministre délégué chargé des comptes publics, Thomas Cazenave, a bien tenté de convaincre les sénateurs, en retournant l’argument du calendrier : « Nous allons nous retrouver dans la difficulté. Il faut un temps d’appropriation de la réforme, puis des délibérations, notamment des agences de l’eau. Au fond, repousser d’une année, c’est perdre une année. Or la réforme est attendue. Elle vise, je le rappelle, à s’adapter à la gestion de la ressource en eau, notamment dans un contexte de raréfaction, à transformer la politique de tarification et, surtout, à apporter des moyens supplémentaires, espérés par les acteurs sur nos territoires. » La majorité sénatoriale n’en a pas moins adopté l’amendement de suppression de l’article 16.

Il est très peu probable que le Gouvernement accepte de reporter cette réforme. Elle sera donc adoptée à la faveur d’un prochain 49-3, quasiment sans débat au Parlement. C’est bien dommage, mais c’est le résultat des équilibres politiques actuels. On peut toutefois imaginer que le texte définitif reprendra certains amendements sénatoriaux qui n’ont pas pu être défendus le 27 novembre. Déjà, dans le cadre de la navette parlementaire, le dispositif a été légèrement modifié à la marge, au profit des centrales nucléaires. Et la modeste augmentation des redevances visant les agriculteurs a été abandonnée mardi dernier par la Première ministre, à la demande des principaux syndicats agricoles.

On peut aussi envisager d’autres ajustements, qui se révéleraient nécessaires à mesure que la réforme se mettra en place. Ils pourront être adoptés, soit en cours d’année dans le cadre d’un PLF rectificatif, soit même dans le PLF pour 2025, à condition qu’ils soient précisément cadrés à l’avance, de manière à entrer en vigueur en même temps que le 12e programme des agences de l’eau, qui s’ouvrira le 1er janvier 2025. Au pire, l’entrée en vigueur de certaines dispositions pourra être repoussée d’un an, au prix d’un ajustement du programme au bout de sa première année d’exécution. Ce ne serait pas la première fois.

On notera aussi que l’article 28 du PLF ne supprime pas le plafond mordant sur les recettes des agences de l’eau : cette disparition est la mesure 39 du plan Eau, prévue pour le 12e programme, donc pour le PLF 2025. Le ministre délégué a toutefois commencé à préparer les esprits à son abandon. Comme nous l’avons déjà écrit, elle nécessiterait de modifier la loi organique relative aux lois de finances, ce qui semble impossible en l’absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale, sans parler de l’opposition discrète de Bercy. Le Sénat s’est contenté de relever ce plafond mordant de 100 M, mais cette mesure n’a aucune chance de survivre au prochain 49-3.

René-Martin Simonnet

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