o Dossier : les 53 mesures pour l’eau et nos 53 commentaires

Après un discours peu inspiré du Président de la République, le plan eau qui se faisait attendre depuis deux mois a été dévoilé la semaine dernière. Ce « plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau » comporte 53 mesures qui abordent de nombreux domaines, tout en restant insuffisantes sur certains sujets essentiels, dont la préservation quantitative et qualitative des milieux aquatiques. Nous le reprenons ici tel qu’il a été publié, en corrigeant seulement quelques fautes. Nous accompagnons chaque mesure d’un commentaire pour en souligner la portée ou indiquer les remarques et interrogations éventuelles qu’elle suscite. La quasi-totalité de ces mesures nécessiteront en effet d’autres mesures pour entrer en vigueur.

I. Organiser la sobriété des usages de l’eau pour tous les acteurs

• Économiser l’eau pour tous les acteurs
Objectif : - 10 % d’eau prélevée d’ici à 2030

1. Pour toutes les filières économiques : établissement d’un plan de sobriété pour l’eau pour contribuer à l’atteinte de cet objectif.

NDLR : Qui en sera le chef de file dans chaque filière ? Qui contrôlera la mise en œuvre et le respect de ces plans ?

2. Pour les industries : accompagnement d’au moins 50 sites industriels avec le plus fort potentiel de réduction.

NDLR : Qui choisira ces sites, et en fonction de quels critères ? Cet accompagnement se traduira-t-il par des aides, et versées par qui ? Le Président de la République a parlé de réduire la consommation nette des centrales nucléaires en favorisant le refroidissement en circuit fermé. La présente mesure reprend-elle seulement cet objectif, ou d’autres secteurs seront-ils aussi concernés ?

3. Pour le bâtiment : des travaux sont engagés afin de réduire la consommation d’eau dans les bâtiments neufs.

NDLR : Qui engagera ces travaux ? Qui les contrôlera ? Qui les financera ?

4. Pour les agriculteurs : 30 M supplémentaires par an seront consacrés au soutien des pratiques agricoles économes en eau (émergence de filières peu consommatrices d’eau, irrigation au goutte-à-goutte, etc.).

NDLR : Et la lutte contre les fuites dans les réseaux d’irrigation ? Et la couverture des canaux d’irrigation à ciel ouvert ? Et l’équipement des points de prélèvement en compteurs télérelevés ?

5. Pour l’État : une démarche État exemplaire de sobriété et de lutte contre le gaspillage sera engagée au sein des administrations publiques.

NDLR : Surveiller l’efficacité de cette démarche pourrait incomber à un haut fonctionnaire interministériel, par exemple au secrétaire général à la planification écologique.

6. Pour les citoyens : les particuliers seront accompagnés pour l’installation de kits hydro-économes et de récupérateurs d’eau de pluie en fonction des besoins sur les territoires.

NDLR : Qui déterminera ce que sont ces besoins sur les territoires ? Qui subventionnera ces équipements, à quel taux et selon quels critères sociaux et techniques ? Et ne serait-il pas judicieux d’inclure dans ce mécanisme les équipements d’arrosage souterrain qu’on peut installer en complément d’un dispositif d’assainissement non collectif ?

7. Pour tous : une campagne de communication grand public sera lancée pour inciter tous les acteurs à la sobriété.

NDLR : Qui réalisera cette campagne ? Qui la financera ?

8. Pour sensibiliser dès le plus jeune âge : les enjeux de l’eau (cycle de l’eau, éducation à la sobriété, préservation des écosystèmes aquatiques) seront renforcés dans le cadre de l’éducation à l’environnement et au développement durable auprès des scolaires.

NDLR : Rien de nouveau : ce sujet est déjà largement abordé depuis longtemps dans les programmes scolaires.

• Mieux planifier
Objectif : décliner l’objectif (sic) territoire par territoire

9. Chaque grand bassin versant sera doté d’un plan d’adaptation au changement climatique précisant la trajectoire de réduction des prélèvements au regard des projections d’évolution de la ressource en eau et des usages.

NDLR : Les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) comportent déjà un tel plan d’adaptation au changement climatique. On peut supposer qu’il sera musclé dans les prochains Sdage.

10. Des objectifs chiffrés de réduction des prélèvements seront définis dans les documents de gestion de l’eau à l’échelle des 1 100 sous-bassins du pays, à savoir les schémas d’aménagement et de gestion des eaux (Sage) et les projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE). À l’occasion de leur révision, tous les Sage intégreront des trajectoires de prélèvement alignées avec les scénarios prospectifs.

NDLR : Cette mesure ne s’appliquera qu’en 2027. Le Président de la République a pris soin de préciser que le monde agricole serait globalement dispensé de réduire ses prélèvements, contrairement à tous les autres usagers de l’eau, mais qu’il ne pourrait pas bénéficier de volumes supplémentaires quand les superficies irriguées augmenteront.

11. Il sera progressivement mis fin aux autorisations de prélèvement au-delà de ce qui est soutenable dans les bassins versants dits en déséquilibre.

NDLR : Il restera à définir ces bassins versants en déséquilibre et à fixer pour chacun la limite des prélèvements soutenables. Et puisque le monde agricole ne sera pas pénalisé en volume global, cette réduction dans certains bassins versants pourra être compensée par une augmentation des prélèvements pour l’irrigation dans d’autres.

• Mieux mesurer
Objectif : mieux piloter la ressource en mesurant mieux les volumes prélevés

12. L’installation de compteurs avec télétransmission des volumes prélevés sera rendue obligatoire pour tous les prélèvements importants (correspondant aux seuils d’autorisation environnementale).

NDLR : La mesure sera expérimentée dans dix territoires l’an prochain, puis généralisée en 2027. La limitation aux seuils d’autorisation environnementale laissera de côté une multitude de petits prélèvements, dont la somme représente pourtant un volume considérable.

13. L’encadrement des petits prélèvements sera renforcé, en abaissant le seuil de déclaration des forages domestiques, tout en simplifiant la procédure de déclaration.

NDLR : Un seuil plus bas signifie davantage de forages à contrôler a posteriori. Le personnel nécessaire sera-t-il recruté ?

II. Optimiser la disponibilité de la ressource

• Sécuriser l’approvisionnement en eau potable
Objectif : réduire les fuites et sécuriser l’approvisionnement en eau potable

14. Face aux investissements importants à faire pour réduire les fuites (170 collectivités points noirs avec des taux de fuites supérieurs à 50 %) et pour sécuriser l’alimentation en eau potable, notamment dans les 2 000 communes ayant connu des tensions en 2022, 180 M/an d’aides supplémentaires des agences de l’eau seront dédiées au petit cycle de l’eau.

Les aides des agences de l’eau aux collectivités seront conditionnées à des objectifs de performance de gestion de leur patrimoine.

NDLR : Cette dernière condition est déjà censée s’appliquer, mais elle est toujours repoussée ou reportée.

• Valoriser les eaux non conventionnelles
Objectif : massifier la valorisation des eaux non conventionnelles (Réut, eau de pluie, eaux grises, etc.), et développer 1 000 projets de réutilisation sur le territoire d’ici à 2027

15. Les freins réglementaires à la valorisation des eaux non conventionnelles seront levés à la fois dans l’industrie agroalimentaire, dans d’autres secteurs industriels et pour certains usages domestiques, dans le respect de la protection de la santé des populations et des écosystèmes.

NDLR : De l’art de faire passer pour une décision autonome la simple obéissance à une nouvelle obligation européenne.

16. L’accompagnement des porteurs de projets de réutilisation des eaux usées traitées (Réut) sera structuré autour :

- d’un guichet unique pour le dépôt des dossiers, le préfet de département ;

- d’un accompagnement par France expérimentation, pour les dossiers innovants rencontrant des blocages réglementaires (dispositif ouvert à tous les projets favorables à la ressource en eau) ;

- d’un chef de projets.

NDLR : L’accès au dispositif France expérimentation, précisé au détour d’une parenthèse, est l’une des principales nouveautés réelles de ce plan, à part bien sûr les rallonges budgétaires.

17. Un observatoire sur la Réut sera mis en place.

NDLR : Espérons qu’il s’intéressera aussi aux conséquences sanitaires et environnementales de ces pratiques, en particulier sur le long terme ; ces observatoires ont en général une durée de vie trop brève pour donner des résultats intéressants.

18. Un appel à manifestation d’intérêt spécifique à destination des collectivités littorales pour étudier la faisabilité de projets de Réut sera lancé par l’État en partenariat avec l’Association nationale des élus du littoral (Anel) et le Cérema.

NDLR : À part quelques situations spécifiques ou usages marginaux, les zones littorales sont pour l’instant les seules de France métropolitaine où la Réut a une chance d’être à peu près rentable sans perturber gravement les milieux aquatiques. On notera d’ailleurs le silence de ce plan à l’égard de la Réut agricole, alors que c’est ce qui explique les taux importants de réutilisation des eaux usées en Espagne, en Israël et en Italie. Ces pays sont souvent cités en exemple, et le discours d’Emmanuel Macron a repris ce lieu commun. Mais ils ont financé ces équipements avec des fonds publics, et les utilisateurs n’en paient pas l’amortissement. En France, il est très peu probable que les services publics d’assainissement soient prêts à suivre cet exemple, qui alourdirait considérablement les factures d’eau. Ou alors il faudra que l’État les aide massivement.

19. La récupération des eaux de pluie de toiture des bâtiments agricoles, notamment les bâtiments d’élevage, pour l’abreuvement des animaux, sera largement soutenue en vue de sa généralisation avec des aides des agences de l’eau.

NDLR : Ces aides-là ne sont pas encore chiffrées et ne figurent donc pas parmi celles prises en compte par la mesure 38. Attention tout de même au lessivage des dépôts de pesticides sur les toitures : s’il faut traiter ces eaux avec des filtres à charbon actif, et surtout changer ou régénérer ces filtres régulièrement, ce sera ruineux.

• Améliorer le stockage dans les sols, les nappes et les ouvrages
Objectif : remobiliser les ressources existantes et répondre au besoin de développer l’hydraulique agricole, dans le respect de la réglementation

20. La préservation des zones humides sera renforcée avec 50 M/an supplémentaires de paiements pour services écosystémiques, et le Conservatoire du littoral consolidera sa stratégie d’acquisition foncière.

NDLR : L’intervention du Conservatoire du littoral est toujours la bienvenue ; mais ce sont surtout les zones humides encore présentes en tête de bassin qui sont les plus menacées et qu’il est urgent de protéger, donc hors du champ de compétence de cet établissement.

21. Un fonds d’investissement hydraulique agricole sera abondé à hauteur de 30 M/an pour remobiliser et moderniser les ouvrages existants (curage de retenues, entretien de canaux) et développer de nouveaux projets dans le respect des équilibres des usages et des écosystèmes.

NDLR : Donc les agences de l’eau vont continuer à financer des retenues de substitution.

22. Une stratégie nationale et un guide technique relatifs à la mise en place de systèmes de recharge maîtrisé des aquifères seront élaborés.

NDLR : Une bonne nouvelle pour le BRGM, qui a fait de cette pratique l’un de ses axes de développement. Attention tout de même au risque d’introduire des polluants dans le sous-sol, notamment des micro-organismes pathogènes.

III. Préserver la qualité de l’eau et restaurer des écosystèmes sains et fonctionnels

• Prévenir les pollutions
Objectif : prévenir la pollution des milieux aquatiques et, en particulier, renforcer la protection des aires d’alimentation de captage

23. Tous les captages seront dotés d’un plan de gestion de la sécurité sanitaire des eaux (PGSSE).

NDLR : Pas la peine de rouler des mécaniques : c’est une obligation européenne à appliquer avant 2028, et c’était même la nouveauté la plus importante de la directive eau potable révisée. Il reste tout de même une question : les petits services d’eau seront-ils accompagnés pour satisfaire à cette obligation ? Bénéficieront-ils en particulier d’un soutien méthodologique personnalisé ?

24. En phase d’installation de nouveaux agriculteurs sur des aires d’alimentation de captage, les projets s’inscrivant dans une démarche agro-écologique ou d’agriculture biologique seront favorisés. Cette ambition sera portée dans le cadre de la concertation du pacte et de la loi d’orientation et d’avenir agricoles.

NDLR : Favorisés comment ? Et par qui ? Par les agences de l’eau, ou par les gestionnaires des services utilisant ces captages ? Plus largement, le Président de la République a annoncé que chaque nouvel agriculteur bénéficierait, avant son installation, d’un diagnostic portant notamment sur la ressource en eau disponible et sur les cultures qu’il pourrait par conséquent envisager sur son exploitation.

25. Dans le cadre des négociations européennes du règlement pour un usage durable des pesticides (SUR), la France adaptera ses usages de produits phytopharmaceutiques au regard des forts enjeux de santé-environnement sur les aires d’alimentation de captage.

NDLR : Une fois de plus, la France se donne le beau rôle, alors qu’elle n’aura pas le choix : un règlement européen est d’application directe et intégrale dans tous les États membres.

26. La planification sur les produits phytopharmaceutiques (Écophyto 2030) déclinera en France cette même approche relative à la limitation de l’usage des intrants dans les aires d’alimentation de captage.

NDLR : À travers cette mesure et la précédente s’esquisse l’annonce d’une nouvelle édition du plan Écophyto réduite aux territoires présentant des enjeux spécifiques.

27. Le soutien aux pratiques agricoles à bas niveau d’intrants sur les aires d’alimentation de captage sera renforcé par les agences de l’eau :

- revalorisation des mesures agro-environnementales et climatiques (Maec) et aides à la bio revalorisées sur les aires d’alimentation de captage à hauteur de 50 M/an ;

- prolongation de l’expérimentation des paiements pour services environnementaux (PSE) jusqu’à la fin de la programmation PAC à hauteur de 30 M/an ;

- aide à l’acquisition foncière par les collectivités à hauteur de 20 M/an.

NDLR : Le monde agricole recevra environ 45 % des nouvelles aides des agences de l’eau décidées par le présent plan, alors qu’il contribue à leurs recettes à hauteur de 3 % environ, et que ce dernier pourcentage ne semble pas devoir évoluer avec la réforme des redevances.

28. En cas de dépassement des exigences de qualité fixées pour les eaux destinées à la consommation humaine par un pesticide toujours utilisé, des mesures de gestion permettant de juguler le risque seront mises en place automatiquement par le préfet, en complément des mesures du PGSSE de la collectivité.

NDLR : C’est à peu près la seule mesure de ce plan dans laquelle l’État annonce qu’il fera ce qu’il est le seul à pouvoir le faire : imposer une décision en cas d’urgence ou de problème durable et non résolu. Il s’agit là encore d’une mesure d’application de la directive eau potable révisée.

29. 50 M/an supplémentaires d’aides des agences de l’eau seront consacrés à la mise aux normes des stations d’épuration prioritaires.

NDLR : En complément des mesures 14, 40 et 41. Emmanuel Macron a estimé dans son discours que la politique française de l’eau depuis 1964 avait atteint l’essentiel de ses objectifs en matière de lutte contre les pollutions, et qu’il fallait maintenant donner la priorité à la quantité sur la qualité. Ce n’est pas vraiment l’avis des acteurs de l’eau, ni de Bruxelles. Mais c’est le Président qui décide.

• Restaurer le grand cycle de l’eau pour restaurer la fonction filtre de la nature
Objectif : développer les SFN dans la gestion de l’eau

30. Soixante-dix projets d’opérations phares (dix par grand bassin hydrographique) labellisées Solutions fondées sur la nature (SFN) seront lancées à des fins de démonstrateurs de lutte contre les sécheresses, en particulier pour la restauration des zones humides, la renaturation ou encore la restauration des cours d’eau. Dans les outre-mers, dix projets de SFN portant sur le petit cycle et le grand cycle de l’eau seront mis en œuvre.

NDLR : Il y aura donc des appels à projet, des cahiers des charges ou des critères de sélection des projets, des jurys, des financements, etc. Tout cela reste à préciser.

31. 100 M pour financer des projets de renaturation et de désimpermabilisation des collectivités dans le cadre du Fonds vert.

NDLR : Il ne s’agit pas d’un complément aux 2 Md€ figurant dans le budget 2023 de l’État, mais du fléchage d’une partie de cette somme, au profit du fonds de renaturation qu’on attendait depuis qu’il avait été annoncé en juin dernier. Toutefois, en cas de non-consommation, les crédits du Fonds vert peuvent être reventilés au profit d’un autre axe d’action.

32. La filière de génie écologique a développé un savoir-faire en matière de reconstitution de milieux naturels, de restauration de milieux dégradés et d’optimisation des fonctions assurées par les écosystèmes. Après le bilan du premier plan national de la filière, datant de 2012, un travail de fond sera engagé avec les acteurs pour actualiser et redynamiser ce plan.

NDLR : Malgré un démarrage en fanfare il y a dix ans, notamment pour l’application de la directive-cadre sur l’eau, la filière du génie écologique peine à élargir sa clientèle. Sans doute parce qu’elle manque encore de crédibilité et de professionnalisme, malgré les bonnes pratiques formalisées en 2016 par son syndicat professionnel, l’UPGE. N’importe qui peut se présenter comme un acteur du génie écologique, et les maîtres d’ouvrage n’y connaissent pas grand-chose. Et quand un chantier de renaturation d’un cours d’eau est effacé par la crue suivante quelques années plus tard, parce qu’il a été réalisé en dépit du bon sens, c’est dur à avaler pour les financeurs. Donc cette filière a besoin de mûrir et de grandir, et cette annonce est la bienvenue.

IV Mettre en place les moyens d’atteindre ces ambitions

• Améliorer la gouvernance de la gestion de l’eau
Objectif : inclure l’ensemble des acteurs autour d’une gouvernance ouverte, plus efficace et plus lisible (sic)

33. Chaque sous-bassin versant sera doté d’une instance de dialogue (CLE) et d’un projet politique de territoire organisant le partage de la ressource.

NDLR : Autrement dit, les PTGE aussi seront dotés d’une commission locale de l’eau (CLE) ou d’un succédané de CLE ; mais comme ces projets n’ont aucune portée réglementaire ni aucune force contraignante, contrairement aux Sage, les vrais enjeux ne seront pas débattus dans cette instance.

34. Les Sage seront modernisés (fonctionnement simplifié des CLE et portée du règlement conforté) et encouragés à définir des priorités d’usage de la ressource en eau ainsi que la répartition de volumes globaux de prélèvement par usage.

NDLR : Cette mesure s’appliquera en deux temps : une révision des textes généraux, puis l’inclusion éventuelle de ces changements lors de la révision du règlement de chaque Sage. Il reste à définir de quelle manière les CLE seront encouragées à prendre en compte cette évolution : petite prime ? Forte pression de l’État ? Ou juste de bonnes paroles ministérielles ?

35. Les conditions d’une intervention efficace des conseils départementaux en matière d’assistance technique et financière seront facilitées.

NDLR : Et dire que certains voulaient faire disparaître les départements en tant que collectivités locales… Néanmoins, même si la loi est de nouveau assouplie en leur faveur, les départements pauvres et très ruraux n’en resteront pas moins pauvres et très ruraux. Leur efficacité sera donc limitée.

36. Un territoire ultra-marin pilote sera accompagné pour intégrer la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (Gemapi) dans le plan eau DOM.

NDLR : Parmi ces 53 mesures, ces quatre lignes sont la seule référence explicites à la gestion des milieux aquatiques, et elles ne concernent que l’outre-mer. La mesure 8 relève des bonnes intentions, et la mesure 45 est tellement plus large qu’un territoire pourra éventuellement l’utiliser sans jamais en faire profiter les milieux aquatiques.

37. La composition du Comité national de l’eau (CNE) sera élargie pour intégrer de nouveaux représentants des usagers de l’eau et de la jeunesse.

NDLR : Le CNE n’est pas une instance de représentation, mais de négociation. On ne voit pas trop ce que les représentants de la jeunesse auront à y faire.

• Assurer une tarification et un niveau de financement de la gestion de la ressource en eau adéquats
Objectif : assurer le financement de la politique de l’eau et mieux inciter à la sobriété dans les usages et à une meilleure performance des réseaux.

38. En synthèse, les moyens des agences de l’eau seront rehaussés de 475 M/an pour accompagner la mise en œuvre du plan en rééquilibrant les financements.

NDLR : Le présent plan prévoit 476 M€/an de dépenses supplémentaires, plus 100 M€ provenant du Fonds vert et non renouvelables. Le reste sera donc assuré par une augmentation des « moyens » des agences de l’eau, mais d’où ces moyens proviendront-ils ? D’un alourdissement de la contribution des redevables actuels, à l’occasion de la réforme des redevances ? D’un élargissement à de nouveaux redevables, par exemple avec des redevances sur la biodiversité ? D’une contribution pérenne du budget général de l’État ? D’ailleurs, pourquoi ce plan n’est-il pas plus explicite sur cette réforme des redevances, qui affectera pourtant tout le monde ?

39. Le plafond de dépenses des agences de l’eau sera supprimé dès le prochain programme d’intervention.

NDLR : S’il s’agit de déplafonner une fois pour toutes le produit des impositions affectées aux agences de l’eau, cela passe par une modification de la loi organique relative aux lois de finances, et la situation politique actuelle n’y est guère favorable. À défaut, en se contentant de supprimer le plafond de leurs dépenses sans mettre fin au plafond mordant sur leurs recettes, on les obligera à s’endetter.

40. 35 M/an supplémentaires seront mobilisés pour la politique de l’eau dans les outre-mers au titre de la solidarité inter-bassins, en contrepartie d’une gouvernance et d’une gestion confortés (contrats de progrès), auxquels s’ajoutera 1 M/an de soutien spécifique à l’ingénierie.

NDLR : La mauvaise gestion des services et la pénurie de bureaux d’études sont en effet deux des trois causes du retard de l’outre-mer en matière d’eau et d’assainissement. La troisième est la rareté des entreprises locales de travaux compétentes. Ces trois facteurs expliquent en grande partie la sous-consommation des crédits.

41. La Banque des territoires mettra en place une nouvelle génération d’aquaprêts à taux bonifié pour les collectivités territoriales, couplée à une offre d’accompagnement de bout en bout.

NDLR : Malgré la grande discrétion du gouvernement sur ce sujet, il semble que les 2 Md€ annoncés pour la première génération d’aquaprêts soient en majorité restés dans les caisses de la banque. Cette « offre d’accompagnement de bout en bout », dont les modalités n’ont pas encore été détaillées, séduira peut-être davantage. Il n’en reste pas moins que les meilleures prêteuses en matière d’eau et d’assainissement sont les agences de l’eau, si on leur en laisse les moyens.

42. La mise en place par les collectivités d’une politique tarifaire adaptée aux enjeux des territoires sera facilitée.

Un volet spécifique sur la politique tarifaire sera intégré dans les contrats de progrès des départements ultramarins.

NDLR : En théorie, chaque service connaît mieux son territoire que les ministères et le législateur, et sa tarification est donc déjà adaptée à ses enjeux. Cette annonce méritera d’être davantage explicitée.

43. Le Conseil économique, social et environnemental (Cese) sera saisi d’une mission sur les évolutions nécessaires pour faire des recommandations sur la tarification progressive de l’eau.

NDLR : Le Président de la République a abordé ce point dans son discours, avec toutefois un bémol : « Nous souhaitons, en concertation avec les élus, que cette tarification progressive et responsable de l’eau soit généralisée en France. Ça ne veut pas dire que le prix de l’eau va augmenter. » À première vue, ces deux phrases semblent contradictoires, mais on verra bien ce qui ressortira des travaux du Cese. Emmanuel Macron s’est en outre référé à l’expérimentation conduite depuis 2017, mais elle porte sur la tarification sociale de l’eau et non sur sa tarification progressive, qui relève d’une autre logique et répond à d’autres objectifs.

44. Dans le cadre du plan eau DOM, l’État mènera avec les acteurs locaux les travaux requis pour sécuriser la perception des redevances des offices de l’eau et leurs missions.

NDLR : En effet, les offices de l’eau, créés par la loi n2000-1207 du 13 décembre 2000 d’orientation pour l’outre-mer, restent les parents pauvres de la politique française de l’eau.

45. La protection et la restauration du patrimoine naturel sera inscrite dans les programmes pluriannuels d’investissement des collectivités. Elles pourront inscrire ces projets dans les travaux éligibles aux dotations de l’État, sans contrainte de plafond.

NDLR : Mais avec tout de même l’obligation d’apporter 20 % de financement propre.

• Investir dans la recherche et l’innovation
Objectif : développer la recherche et l’innovation sur l’ensemble de la chaîne de valeur de la gestion de l’eau, afin de franchir des paliers d’innovation.

46. L’étude Explore 2, qui actualisera les projections hydrologiques à partir des dernières publications du Giec, sera complétée d’une étude prospective sur l’évolution de la demande en eau en France.

NDLR : La demande en eau n’est qu’une conséquence de choix économiques, démographiques et techniques : favoriser certaines activités, certains modes d’habitat, certaines logiques de consommation, etc., dans chaque territoire. Cette étude prospective sera un travail de Romain et ne pourra pas prétendre à l’exactitude. Il sera bon de l’actualiser souvent.

47. L’empreinte eau sera intégrée dans l’affichage environnemental.

NDLR : Il existe plusieurs manières de calculer cette empreinte eau, notamment en fonction des paramètres qui sont pris en compte et du poids respectif attribué à chacun : prélèvement dans un milieu sensible ou en situation de pénurie, consommation nette, pollution rejetée, prise en compte ou non de l’ « eau virtuelle », etc.

48. Un volet eau de France 2030 couvrira l’ensemble de la chaîne de valeur et des usages liés à l’eau (gestion de la ressource brute, usages de l’eau, maîtrise de la donnée et de son analyse, traitement des eaux), comme soutien transversal aux innovations des entreprises françaises.

NDLR : Pas un mot sur la gestion des milieux aquatiques, indépendamment de leur rôle de ressource en eau. Il y aurait pourtant là de belles perspectives d’innovation et d’exportation pour les entreprises françaises.

49. Les programmes de recherche majeurs sur l’eau concourront à projeter les évolutions futures et à améliorer les outils pour mettre en œuvre une politique intégrée de l’eau dans leur aménagement du territoire à l’heure du changement climatique : programme et équipements de recherche prioritaire OneWater, partenariat européen Water4All, programme de recherche-action Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines Territoires.

NDLR : Le Perp OneWater est piloté par le CNRS, le BRGM et l’Inrae ; il dispose d’un budget de 53 M€ sur dix ans. Le partenariat Water4All implique 70 partenaires des 27 États membres de l’Union européenne, du Royaume-Uni, du Brésil et de l’Afrique du Sud ; il devrait bénéficier au total d’environ 400 M€ de budget, dont une partie pour des projets français sélectionnés par l’Agence nationale de la recherche. Quant au Popsu Territoires, il est porté par le Plan urbanisme construction architecture, et il soutient actuellement vingt projets de recherche axés vers les petites villes et les zones rurales.

V Être en capacité de mieux répondre aux crises de sécheresse

• Améliorer la gestion des périodes de sécheresse
Objectif : mieux informer, prévenir les situations de tension

50. Un outil simple d’accès et d’utilisation sera déployé afin que chacun puisse connaître les restrictions qui s’appliquent en fonction de sa géolocalisation et de sa catégorie d’usager, et les éco-gestes recommandés au regard de la situation hydrologique locale.

NDLR : Le Président de la République l’a présenté comme un « Écowatt de l’eau ». Peut-être pourrait-on l’appeler « Écolitre » ? Sa version bêta sera lancée dans les prochains mois.

51. Le guide national des restrictions sécheresse sera mis à jour pour une meilleure efficacité et une adaptation des mesures au plus près des réalités du terrain.

NDLR : Ce guide national a été publié en même temps qu’une circulaire du 27 juillet 2021, pour appliquer dans chaque département le décret n2021-795 du 23 juin 2021 relatif à la gestion quantitative de la ressource en eau et à la gestion des situations de crise liées à la sécheresse. Il a servi dans la quasi-totalité des départements métropolitain l’an dernier. Sa mise à jour se fondera donc sur des retours d’expérience.

52. Afin d’accompagner la prise de décision au niveau national et local, des outils seront développés pour améliorer l’anticipation des années sèches, l’identification des territoires les plus à risque, la détection des inadéquations entre prélèvements et ressources en période d’étiage et de suivi des impacts dans le temps.

NDLR : Qui développera ces outils ? Qui les tiendra à jour ?

VI. Des engagements tenus

• Objectif : rendre compte des avancées et actualiser le plan autant que de besoin

53. Il sera régulièrement rendu compte aux parties prenantes, au moins deux fois par an, de la mise en œuvre des mesures du plan dans le cadre du Comité national de l’eau.

NDLR : Les séances du CNE ne sont pas publiques. Si le gouvernement veut vraiment faire connaître l’état d’avancement de chaque mesure à tous les acteurs de l’eau, dont le grand public, il devra utiliser aussi un autre vecteur d’information.

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