Électricité décentralisée : quand une inondation emporte le barrage

Qui devrait reconstruire le barrage et la microcentrale ? Les propriétaires, le syndicat intercommunal d’électricité, le concessionnaire de l’installation ? Ou personne ?

Deux voisins qui s’accordent pour mettre en commun une microcentrale hydroélectrique et un ensemble de panneaux photovoltaïques : ce projet de production d’énergie décentralisée et renouvelable avait tout pour séduire. Il a d’ailleurs largement séduit, au point qu’une grande inauguration avait été organisée en 2007, lors de la mise en service des installations dont l’exploitation avait été concédée au gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité, alors EDF, devenu par la suite Enedis.

D’un côté, un couple avait acheté un ancien moulin transformé en habitation et lui avait adjoint une turbine alimentée par l’étang. De l’autre, leur voisin avait implanté des panneaux solaires sur son propre terrain. L’ensemble était complété par une série de batteries, reliées aux deux logements à la fois. Sur le papier, tout était parfait.

Quand le projet commun se transforme en conflit de voisinage

En réalité, les installations se sont révélées insuffisantes pour la consommation des deux ménages, et des désaccords sont vite apparus à propos de l’entretien du dispositif. À mesure que la tension baissait dans les câbles électriques, elle montait entre les voisins. Au bout de huit ans de ce pis-aller, les intéressés ont envisagé de demander leur raccordement au réseau.

Mais en mai 2016, des pluies exceptionnelles ont entraîné la rupture du barrage qui assurait le fonctionnement de la turbine hydroélectrique. Cet équipement avait été installé dans le cadre d’une convention entre le couple de propriétaires et le Syndicat intercommunal d’électricité de la Côte-d’Or (Sicéco). C’est donc cet organisme qui a demandé à Enedis de déposer la turbine. Dans cette affaire, le gestionnaire du réseau public de distribution n’intervenait pas du tout dans son rôle habituel, mais en tant que concessionnaire du syndicat, héritant du contrat signé par EDF.

Barrage détruit, habitation dévastée

Dans la foulée, l’équipe d’urgence a retiré aussi le matériel qui permettait le fonctionnement des panneaux photovoltaïques, dont l’onduleur. Elle a laissé les batteries, mais elles sont hors d’usage. Le moulin ayant également été ravagé par l’inondation, ses propriétaires l’ont abandonné durant deux ans. Puis ils l’ont fait réhabiliter pour y loger leur fils et sa famille.

Ils ont demandé à Enedis, concessionnaire de l’installation, de répartir la production des panneaux solaires restants entre les deux propriétés, mais la société leur a répondu que la surface installée ne suffirait pas à couvrir la consommation des deux habitations et qu’elle ne pouvait pas décider d’en faire bénéficier seulement l’un des deux clients, au nom du principe de non-discrimination. C’est alors que le coupe a saisi le comité de règlement des différends et des sanctions (Cordis) de la Commission de régulation de l’énergie, en demandant qu’il ordonne à Enedis de rétablir immédiatement une alimentation électrique de l’immeuble dont ils sont propriétaires.

À la date de cette saisine, ils n’ont toujours pas remis en état le barrage et son plan d’eau, car des opérations d’expertise sont toujours en cours, visant à établir d’éventuelles responsabilités dans la survenance de la rupture du barrage, pour laquelle les époux ont déjà été mis hors de cause. Ils demandent donc à Enedis de remettre en place l’onduleur, qui n’avait pas été endommagé par la crue, et de doubler la superficie installée en panneaux solaires, afin que leur habitation soit de nouveau alimentée en énergie renouvelable. En attendant, ils lui demandent de prendre à sa charge le fonctionnement du groupe électrogène de secours qu’ils ont mis en service.

L’inondation a aussi détruit le plan d’eau

En réponse, Enedis fait remarquer que, dans cette zone et pour ce type d’installation, ce n’est pas lui qui est compétent, mais le Sicéco, dont il n’est que le concessionnaire. C’est donc au syndicat qu’il incombe, soit de reconstruire le barrage et l’ensemble de l’installation avec une capacité suffisante pour les deux habitations, soit de raccorder celles-ci au réseau public de distribution. Toutefois, Enedis avertit qu’il est techniquement impossible de reconstruire le barrage, puisque le plan d’eau a été totalement détruit par l’inondation.

Il souligne en outre un point important : une mise en œuvre de moyens de production décentralisés non connectés au réseau public ne peut être assimilée à un raccordement au réseau public de distribution d’électricité. Elle ne peut donc pas obliger le gestionnaire du réseau public de distribution à garantir la tension électrique délivrée. Les installations du site ne permettaient de générer qu’une capacité de continuité et de qualité d’alimentation limitée, inférieure à celle du réseau public de distribution d’électricité, mais les époux l’avaient accepté dans leur convention avec le syndicat. Ceux-ci n’ont de toute façon signé aucune convention ni contrat avec EDF ou Enedis.

Le barrage et les amenées d’eau avaient été exclus de la concession

En outre, si le législateur a mis en place un dispositif permettant le maintien de la fréquence et de la tension sur le réseau, ce n’est pas le cas pour les ouvrages de production décentralisée, pour lesquels Enedis n’a pas une obligation de résultat mais uniquement une obligation de moyens qui se trouve limitée par les particularités de l’installation. Enfin, le contrat de concession entre le Sicéco et Enedis impose à ce dernier l’exploitation et le maintien en bon état des ouvrages concédés, dont la turbine, mais non leur reconstruction, tout comme ils ne pourraient prévoir des obligations pour Enedis concernant le barrage et les amenées d’eau qui ont été expressément exclus de la concession.

Ainsi mis en cause, le syndicat prend le parti de ses clients. Il soutient en particulier que le choix de reconstruire les ouvrages détruits ou de les remplacer par autre chose relève du seul concessionnaire, en l’occurrence Enedis, sans que l’autorité concédante ou les usagers n’aient à contribuer au financement de ces travaux. Il soutient en outre que les ouvrages de production décentralisés sont immobilisés dans le patrimoine de la concession et sont exploités et entretenus par le concessionnaire à ses risques et périls.

Reconstruction de la centrale impossible tant que le barrage n’est pas rétabli

Dans sa décision, le Cordis constate d’abord que, dans le présent cas de figure, le Sicéco est bien une autorité organisatrice du réseau public de distribution d’électricité (AODE). À ce titre, il peut décider d’aménager une installation de production d’électricité décentralisée, dès lors que cette installation est de nature à préserver la sécurité, la sûreté et la qualité de l’alimentation électrique des demandeurs. Il a concédé en 1998 à EDF, remplacé depuis par Enedis, l’exploitation des ouvrages, y compris leur maintenance et leur renouvellement, mais uniquement pour le maintien du réseau de distribution en bon état de fonctionnement.

Dans le cas présent, la reconstruction d’une installation hydroélectrique similaire à l’ancienne est rendue techniquement impossible par la rupture du barrage qui n’a pas été reconstruit. Il est en outre impossible à Enedis de remplacer l’installation détruite par de nouveaux équipements de production d’électricité décentralisée d’une puissance équivalente, par exemple des panneaux solaires, puisque cette puissance s’est révélée insuffisante pour les besoins des usagers concernés : l’article L. 2224-33 du code général des collectivités territoriales l’interdit, étant donné que la qualité de l’alimentation électrique ne serait pas assurée.

Aucun document produit dans cette affaire n’oblige Enedis à signer un contrat relatif à la mise en œuvre de moyens de desserte décentralisés non connectés à l’ensemble du réseau avec le client. Les requérants doivent donc déposer une demande de raccordement au réseau public de distribution en tant que nouveaux usagers. Ils ont perdu.

Commission de régulation de l’énergie : décision n05-38-20 du 22 octobre 2020 du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie sur le différend qui oppose M. et Mme G. à la société Enedis relatif à l’interruption du raccordement d’une habitation à des installations de production d’électricité décentralisées (JO 26 nov. 2020, texte n137).

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