Le Comité européen des régions rêve de mettre la DCE au cœur des politiques européennes

Les élus locaux d’Europe demandent que les cycles de la directive-cadre sur l’eau soient prolongés jusqu’en 2039.

Bien qu’il n’ait qu’un rôle consultatif, le Comité européen des régions s’efforce de tenir la place d’une seconde chambre au sein des institutions européennes, en complément du Parlement européen. Pour compenser le faible poids politique de ses avis, il s’attache à les rendre aussi pertinents que possible, en les préparant soigneusement et en portant au niveau européen le point de vue des élus locaux.

Bilan de qualité de la DCE et de trois directives-filles

C’est le cas du présent avis sur la politique de l’eau au sein de l’Union européenne, dont les cinquante alinéas mériteraient d’être tous cités. Son point de départ est le bilan de qualité de la directive-cadre sur l’eau (DCE) et de trois autres textes qui lui sont liés, tel qu’il a été dressé par la Commission européenne dix-neuf ans après l’entrée en vigueur de la DCE, comme prévu par son article 19. La Commission en avait conclu, en juin dernier, qu’il n’était pas nécessaire de réviser ces textes dans l’immédiat.

Le Comité européen des régions a partagé cette conclusion dans cet avis, en adoptant le rapport de Piotr Całbecki, maréchal de la voïvodie de Cujavie-Poméranie, c’est-à-dire chef de l’exécutif de cette région de Pologne ; mais son analyse est beaucoup plus fine. Elle a toutefois tendance à partir dans tous les sens, en raison de l’ajout d’un certain nombre d’amendements mal coordonnés. De sorte qu’elle finit par conclure… qu’il faudrait réviser la DCE, après avoir dit l’inverse en introduction.

44 millions d’emplois en Europe dépendent de l’eau

Cet avis souligne d’abord que les secteurs de l’Union qui dépendent de l’eau génèrent 3 400 Md par an, soit 26 % de la valeur ajoutée brute annuelle de l’Union, et emploient 44 millions de personnes. Pourtant, seules 40 % des masses d’eau de surface européennes sont dans un bon état écologique, et seules 38 % dans un bon état chimique.

Les quatre textes qui ont fait l’objet de ce bilan de qualité sont la directive 2000/60/CE établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau (DCE), la directive 2006/118/CE sur la protection des eaux souterraines contre la pollution et la détérioration, la directive 2008/105/CE établissant des normes de qualité environnementale dans le domaine de l’eau, modifiant et abrogeant les directives du Conseil 82/176/CEE, 83/513/CEE, 84/156/CEE, 84/491/CEE, 86/280/CEE et modifiant la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil (DNQE), et la directive 2007/60/CE relative à l’évaluation et à la gestion des risques d’inondation.

Le Comité considère, comme la Commission, que ces textes sont « largement adaptés à leur finalité, bien qu’il existe une certaine marge d’amélioration ». Ils ont conduit à un niveau plus élevé de protection des masses d’eau et de gestion des risques d’inondation. Si les objectifs de la DCE n’ont toujours pas été atteints, c’est dû avant tout « à un financement inadapté » (NDLR : et pour cause : la question du financement n’a jamais été abordée lors de l’élaboration de ce texte). C’est dû aussi à une intégration insuffisante des objectifs environnementaux dans les politiques sectorielles.

Les cocktails chimiques ne sont pas assez évalués

La question des produits chimiques reste un point faible de la politique européenne de l’eau, et le présent avis considère que c’est dû en partie à un cadre législatif imparfait. D’abord, les listes des polluants et leurs valeurs limites sont disparates d’un État membre à l’autre. Ensuite, la liste des substances prioritaires reste très incomplète. Et enfin, la DNQE et la directive sur la protection des eaux souterraines évaluent le risque pour les personnes et l’environnement en se basant principalement sur des substances individuelles, sans tenir compte des effets combinés des mélanges.

Au passage, le Comité se penche aussi sur l’évaluation de la directive relative au traitement des eaux urbaines résiduaires (Deru), réalisée en même temps. Il regrette que cette évaluation n’ait pas abordé l’efficacité de ce texte en ce qui concerne les rejets d’eaux résiduaires industrielles dans les installations de collecte et de traitement des eaux usées urbaines.

Renforcer le traitement des eaux usées pour combattre la pandémie en cours

Il invite la Commission à se montrer plus exigeante envers les États membres en matière de respect des obligations juridiques concernant les principales pressions qui pèsent sur les milieux aquatiques, en particulier les polluants émergents, dont les microplastiques et les médicaments, puisque les stations d’épuration actuelles ne sont pas en mesure d’éliminer totalement les micropolluants. Il estime que la pandémie en cours devrait déboucher sur des exigences accrues en matière de « stérilisation » (sic pour « désinfection ») des eaux résiduaires.

Un autre point à améliorer est la qualité des ressources en eau destinée à la consommation humaine, qui reste menacée. Le Comité estime qu’il faudrait insister plus sur le respect du paragraphe 3 de l’article 7 de la DCE, qui concerne la non-détérioration de la qualité des masses d’eau utilisées pour le captage d’eau potable et la réduction du degré de traitement de purification nécessaire à la production d’eau potable.

Afin que les opérateurs de ce secteur puissent avoir accès à des ressources de très bonne qualité et réduire ainsi le coût des traitements, le présent avis invite les autorités européennes à « garantir des normes de qualité et de sécurité élevées, ainsi que la cohérence des politiques en vue de la refonte de la directive relative à l’eau potable ».

Conséquences pratiques de l’arrêt Weser

Par l’arrêt Weser du 1er juillet 2015 (affaire C-461/13), la Cour de justice de l’Union européenne a interprété la DCE en décidant « que les États membres sont tenus, sous réserve de l’octroi d’une dérogation, de refuser l’autorisation d’un projet particulier lorsqu’il est susceptible de provoquer une détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface ou lorsqu’il compromet l’obtention d’un bon état des eaux de surface ou d’un bon potentiel écologique et d’un bon état chimique de telles eaux à la date prévue par cette directive ». Cette directive ne se limite donc pas à énoncer de simples objectifs de planification de gestion, mais ses principes s’appliquent à tout projet particulier susceptible d’affecter les objectifs de qualité des masses d’eau.

Le présent avis estime par conséquent que cet arrêt relativise la portée des clauses de détérioration et d’amélioration et des clauses d’exemption, telles qu’elles figurent à l’article 4 de la DCE. Cette contradiction « est une source d’incertitudes juridiques, tant pour les opérateurs que pour les autorités. En particulier, il convient de procéder à une analyse plus approfondie des conséquences sur les dispositifs de protection de l’environnement, par exemple les stations d’épuration des eaux usées, ou les mesures qui contribuent à la transition climatique et à la gestion de l’énergie et des ressources. »

La majorité des masses d’eau échappent à la DCE

Or, à l’heure actuelle, plus de la moitié des masses d’eau bénéficient d’une exemption, ce qui rend peu probable leur bon état à l’échéance actuelle de la DCE, soit 2027. Il conviendra donc de progresser sensiblement sur le plan des efforts déployés, des ressources engagées et de l’application de la DCE, y compris après 2027. La Commission devrait donc compléter son bilan de qualité en prenant en compte l’expérience des États membres qui appliquent cette directive conformément aux principes énoncés dans l’arrêt Weser. Certes, il faut s’intéresser aux pays qui ne respectent pas pleinement la directive, « mais ce n’est pas une raison pour ignorer les problèmes juridiques qui se sont posés là où elle est appliquée ».

Une faiblesse bien connue de la politique européenne est son organisation en domaines distincts, pour des raisons historiques. Cela affecte particulièrement les politiques transversales, comme celle de l’eau. Le Comité demande donc que les réflexions sur l’eau soient moins cloisonnées, et qu’une plus grande cohérence et une meilleure coordination soient assurées entre toutes les législations interconnectées de l’Union, notamment pour ce qui est des préoccupations liées au changement climatique, à l’économie circulaire et aux polluants émergents.

« Une gestion de l’eau à l’épreuve du changement climatique devrait être intégrée dans toutes les politiques de l’Union, et un objectif clair et ambitieux en matière d’atténuation du changement climatique et d’adaptation à celui-ci devrait être défini dans la DCE. » Et le présent avis en donne une dizaine d’exemples, dont l’agriculture, l’hydroélectricité et le transport fluvial (NDLR : cette transversalité de la politique de l’eau est le fondement de la ligne éditoriale de journeau.info).

La PAC devrait prendre en compte toute la DCE

La prochaine politique agricole commune doit ainsi tenir pleinement compte de l’impact de l’activité agricole sur l’eau, et favoriser le passage à des pratiques plus respectueuses de l’eau, notamment en prenant en compte l’ensemble de la DCE dans la modulation des aides. Plus largement, les discussions en cours ou à venir dans le cadre du cycle législatif actuel sont une excellente occasion d’inclure l’eau et les objectifs généraux de la DCE dans les politiques couvrant d’autres secteurs, ce que devrait aussi faire le pacte vert pour l’Europe.

Non sans une certaine contradiction avec ce qui précède, l’avis estime qu’il est urgent de moderniser la DCE pour prendre en compte les défis émergents, comme le changement climatique et les micropolluants, les nouvelles technologies et les nouvelles méthodologies apparues depuis vingt ans.

Il conviendrait de « considérer la biosphère d’un point de vue évolutionniste » en intégrant la durabilité des bassins hydrographiques et la décarbonatation, et en amélioration la compréhension des processus écologiques, y compris les cycles de l’eau, du carbone, de l’azote et du phosphore.

Réviser la DCE selon les principes de Platon ?

Chaque bassin devrait ainsi être considéré comme un « superorganisme platonicien » unique (sic) dans lequel la combinaison de la géomorphologie, du climat, des écosystème et des diverses formes d’activité humaine influe sur le cycle de l’eau et l’état écologique.

Pour parvenir à l’objectif « zéro pollution » fixé dans le pacte vert pour l’Europe, il est indispensable de préserver et de restaurer la biodiversité dans les rivières, les lacs, les zones humides et les estuaires, ainsi que de prévenir et de limiter au maximum les dommages causés par les inondations. La prévention des inondations devrait être intégrée à la gestion de la prévention de la sécheresse et aux mesures visant à renforcer le potentiel de durabilité des bassins hydrographiques.

Pour réduire la pollution due aux micropolluants et aux autres substances dangereuses, il faut développer des bonnes pratiques de gestion et des technologies innovantes, et traiter la pollution à la source en fonction des conditions locales.

Il conviendrait aussi de recourir beaucoup plus largement aux solutions fondées sur la nature pour la gestion de l’eau, afin d’atteindre l’objectif de bon état écologique des masses d’eau ; cela permettrait en outre d’atténuer le changement climatique et de s’y adapter. Ces solutions seraient notamment pertinentes pour les installations petites et moyennes de traitement des eaux usées et pour le traitement des eaux pluviales urbaines, y compris dans les agglomérations existantes.

Le Comité estime que la directive Inondations devrait être intégrée à la DCE, afin de renforcer l’alimentation des nappes souterraines et d’améliorer les capacités de rétention dans les zones inondables, les plans d’eau et les zones humides. La politique agricole commune, la directive sur les nitrates et le règlement sur les produits phytosanitaires devraient être harmonisés avec la DCE, en vue de réduire les pollutions diffuses : cela implique de réduire l’élevage industriel dans les régions où il est le plus répandu, et de généraliser les dispositifs constituant un obstacle à l’écoulement des polluants agricoles, comme les zones tampon, les bandes enherbées et les haies. Ces dispositifs permettraient également de stocker le carbone dans les sols.

Prolonger la DCE jusqu’à 2039 au moins

Au passage, le Comité s’attaque à un des tabous les plus sacrés de la politique européenne de l’eau : il « souligne que le calendrier de mise en œuvre des mesures comprises dans les plans de gestion des bassins hydrographiques concernés est trop serré, étant donné que le temps de réaction de l’environnement peut être bien supérieur à un cycle de six ans. [Il] préconise dès lors d’étendre le calendrier de programmation [de la DCE], en prévoyant au moins deux périodes allant jusqu’à 2039. » Cela semble d’une sagesse évidente.

L’avis invite les entreprises publiques de gestion de l’eau à participer à l’initiative « Erasmus de l’eau », qui permet à des membres du personnel technique d’effectuer des visites auprès d’homologues d’autres États membres et de s’inspirer de leurs pratiques de gestion de l’eau. Les échanges de ce type, ainsi que d’autres initiatives telles que les ateliers techniques, devraient être développés à plus grande échelle, étant donné qu’ils offrent la possibilité de sensibiliser les participants, d’encourager le dialogue, de s’informer sur les solutions disponibles et de renforcer les capacités.

Ne pas oublier en route la tarification de l’eau

La Commission est invitée à rappeler à toutes les institutions nationales et locales que l’eau est un bien public essentiel, ce qui implique de mieux appliquer les politiques de tarification de l’eau conformément au principe de récupération des coûts consacré à l’article 9 de la DCE, et à recommander le recours à des mesures tarifaires pour promouvoir la préservation des ressources, telles que les tarifs d’été ou la tarification par blocs de consommation. En outre, le principe du « pollueur payeur » devrait être pleinement appliqué par le recours à des instruments de financement durables tels que la responsabilité élargie des producteurs.

Enfin, dans un autre domaine, la Commission est invitée à faire en sorte que la protection des ressources en eau soit réellement assurée dans les pays candidats ou en voie d’adhésion à l’Union européenne.

Avis du Comité européen des régions — Bilan de qualité de la directive-cadre sur l’eau, de la directive sur la protection des eaux souterraines, de la directive sur les normes de qualité environnementale et de la directive « Inondations » (JOUE C 324, 1er oct. 2020, p. 28).

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