Les projets de PTGE devront tenir compte de la jurisprudence

40 % des projets actuels de retenues pour l’irrigation ont été déférés devant les juges, qui en ont déjà annulé 14.

Question d’Anne-Catherine Loisier, sénatrice (rattachée UC) de la Côte-d’Or :

Depuis trois ans, la France connaît de longues périodes de sécheresse, lourdes de conséquences pour les populations, les animaux et les végétaux, sans qu’aucune action n’ait été réellement mise en place pour anticiper le manque d’eau de l’été suivant. Pire, nous continuons à détruire, parfois à des coûts phénoménaux, des ouvrages construits avec science et réflexion par nos aînés, voilà plusieurs siècles, pour se préserver des caprices de la nature et des privations d’eau.

Depuis 2006, nous subissons des lois sur l’eau et la continuité écologique. Elles pourraient être vertueuses si elles étaient appliquées avec discernement et pragmatisme. Ne condamnez pas systématiquement toute retenue d’eau existante !

Depuis trois ans, les éleveurs sont contraints de faire chaque jour des kilomètres pour trouver des points d’eau, remplir des citernes et abreuver leur troupeau. Ils n’ont parfois d’autre choix que de ponctionner les réseaux d’eau potable, répercutant ainsi les tensions d’approvisionnement sur l’alimentation humaine. Et que dire de la faune aquatique décimée dans des rivières à sec, de la faune sauvage qui cherche en vain à s’abreuver !

Face à ces réalités, alors que le remède offert par cette législation dogmatique est pire que le mal, vous persistez dans cette obsession destructrice. Le 30 juin dernier, un décret est venu accélérer la destruction des barrages des moulins, en permettant l’arasement des seuils sur simple déclaration de travaux, sans aucune considération du droit d’antériorité de ces ouvrages. Finies les autorisations, aucune étude d’impact environnemental et social, aucune enquête publique, aucune information des riverains !

Alors que tous les pays frappés par des sécheresses récurrentes facilitent la réouverture et la création de réserves d’eau, pensez-vous toujours que ce sera en détruisant les retenues et les ouvrages existants que nous pourrons faire face aux besoins de proximité qui resurgiront d’ici à quelques mois ? Nous sommes en novembre : quelles solutions préconisez-vous aux éleveurs afin qu’ils assurent l’abreuvement de leur bétail en mars-avril ?

Réponse de la secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité :

Les tensions actuelles sur le partage de l’eau nous rappellent que nous devons lutter collectivement contre le changement climatique et réviser la gestion de cette ressource. La recherche de l’équilibre entre les ressources et les besoins en eau devient particulièrement difficile quand les ressources disponibles s’avèrent insuffisantes pour répondre à l’ensemble des besoins, notamment ceux des agriculteurs.

Les projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) appellent à rechercher et à formaliser deux voies pour permettre une telle conciliation : d’une part, faire évoluer les systèmes d’exploitation agricoles pour les adapter à la disponibilité de la ressource en eau ; d’autre part, adapter celle-ci aux besoins de l’agriculture, notamment par le stockage de l’eau lorsqu’elle est disponible et son déstockage en période sèche pour irriguer les cultures.

Actuellement, soixante PTGE ont été adoptés et validés par une instance locale, vingt-cinq sont en cours de concertation et seize sont engagés. Toutefois, sur les 156 ouvrages de stockage ou de transfert dénombrés au niveau national au sein de ces soixante PTGE, 62 retenues ou projets de retenues font l’objet d’un contentieux ; parmi elles, 14 ont fait l’objet d’une annulation d’autorisation.

Afin de limiter les blocages constatés, le ministère de la transition écologique a réuni un groupe de travail issu du Comité national de l’eau. Il comprend les services des trois bassins les plus concernés, ainsi que l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture, France nature environnement, et les associations représentant les collectivités et les élus de bassin. Des experts y sont aussi associés, issus du BRGM ou de l’Office français de la biodiversité, ainsi que des représentants des ministères chargés de l’écologie et de l’agriculture.

Les principales difficultés portent sur l’identification d’un maître d’ouvrage pour le projet, la justification parfois insuffisante des besoins en eau actuels et futurs, ou encore l’acceptabilité sociale du projet. Autre difficulté : les autorisations pour les ouvrages de stockage et pour les prélèvements sont parfois disjointes. Enfin, il est parfois difficile de déterminer les volumes prélevables et de mener des études approfondies ; les études d’impact ne sont pas toujours complètes.

Les travaux menés actuellement, notamment une analyse fine de la jurisprudence, analyse nécessaire pour renforcer la solidité des dossiers déposés, devraient permettre d’améliorer la mise en place de ces PTGE et de retenues pertinentes et justifiées.

Réplique d’Anne-Catherine Loisier :

Nous sommes en novembre ; si l’on veut que les réserves en eau soient opérationnelles en avril ou en mai, c’est maintenant qu’il faut les constituer. Il faut donc accélérer les processus administratifs et les délivrances d’autorisation ; sinon, nous nous retrouverons confrontés aux mêmes problèmes que les années précédentes, et même à pire encore, dans la mesure où la situation se détériore d’année en année. Il faut trouver des solutions en fonction des réalités locales ; je vous invite à vous pencher sur le décret du 30 juin dernier, qui n’est plus du tout adapté aux réalités que nous vivons.

JO Sénat CR, 6 nov. 2020, p. 8315.

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