o Où en est la révision de la Deru ?

Parmi les sujets sur la table : les rejets de temps de pluie, les micropolluants, l’énergie et les gaz à effet de serre, le traitement des boues, la redéfinition des zones sensibles.

Un exposé d’un expert de la Commission européenne est souvent un exercice rébarbatif, tant il semble éloigné des réalités vécues par les personnes concernées dans les États membres. Outre la barrière linguistique trop fréquente, même quand l’orateur s’exprime dans un anglais plus ou moins maîtrisé, on se retrouve souvent à devoir digérer des concepts technocratiques truffés d’un vocabulaire spécifique aux instances de l’Union européenne, qu’il faut ensuite transposer en termes courants pour y comprendre quelque chose.

Les réflexions de la Commission européenne

Rien de tel avec l’intervention de Michel Sponar, de la direction général Environnement, jeudi dernier à Paris, lors du congrès de l’Association scientifique et technique pour l’eau et l’environnement (Astee) : chargé de conduire les réflexions sur la révision de la directive eaux urbaines résiduaires (Deru), il a détaillé très clairement les sujets de préoccupation de la Commission dans ce domaine, sans se complaire un seul instant dans la langue de bois.

Il n’a eu en outre aucune peine à s’exprimer dans un français parfait, puisque c’est sa langue maternelle : avant d’intégrer la Commission, Michel Sponar a commencé sa carrière chez lui, dans les instances politiques de la région Bruxelles-Capitale. C’est sans doute pour cela aussi qu’il n’hésite pas à aborder les questions concrètes : il vient du terrain.

Une directive simple à comprendre

Avant de décider s’il fallait réviser la Deru, la Commission a évalué le texte initial du 21 mai 1991, et constaté qu’il a eu un effet majeur sur la qualité des cours d’eau dans l’Union, y compris dans les États membres qui ont été admis après sa publication. « Un des avantages de cette directive est qu’elle est simple à comprendre », a malicieusement relevé l’orateur. Ce n’est pas toujours le cas…

« La Deru n’est peut-être pas attrayante mais, parmi toutes les directives concernant l’eau, c’est sans doute celle qui a le plus contribué à améliorer la qualité de l’eau sur le terrain », a-t-il insisté. Toutefois, le chantier n’est pas achevé, et les rejets polluants visés par ce texte n’ont pas été entièrement supprimés. De nouveaux polluants et d’autres défis sont apparus depuis 1991. Et la Commission voudrait améliorer le cadre dans lequel s’inscrit cette politique.

Concernant la pollution qui n’a pas encore été éliminée, Michel Sponar s’est montré prudent : « Il ne faut pas fixer des échéances ou des objectifs irréalistes. Ainsi, les petites agglomérations d’assainissement de moins de 2 000 équivalents-habitants (EH) ne sont pas concernées par le texte actuel, et nous nous demandons s’il conviendrait d’abaisser ce seuil, peut-être jusqu’à 500 EH. Mais il faudrait le fixer en fonction de l’équilibre entre les gains environnementaux et sanitaires et les surcoûts qui en résulteraient, et nous n’avons toujours pas trouvé un seuil pertinent. »

La Deru de 1991 ne porte pas sur les petites installations d’assainissement (PIA), qui correspondent à peu près à l’ANC en France. Du coup, certains États membres les autorisent même dans les villes, où elles équipent jusqu’à 10 % des logements. Cette astuce est évidemment contraire à l’esprit de la directive, mais pas à sa lettre, et la Commission a bien l’intention de l’interdire explicitement dans la prochaine version. Pour les PIA qui sont situées dans les zones rurales, elle envisage d’améliorer les normes européennes qui les encadrent, et qui relèvent du règlement Produits de construction.

Enfin, la directive actuelle est bien adaptée au traitement et au rejet des eaux usées par temps sec, mais pas par temps de pluie ; mais cela relève-t-il d’une directive ou de décisions locales ?

Où faudra-t-il traiter les micropolluants ?

Parmi les nouveaux défis, les micropolluants sont les plus évidents, comme l’a rappelé l’expert : « Leurs impacts deviendront de plus en plus importants à mesure que le régime des cours d’eau récepteurs évoluera sous l’effet du changement climatique. Nous testons des traitements dans certains stations d’épuration. Il reste à savoir si nous imposerons des normes européennes partout, ce qui consommera davantage d’énergie, ou seulement pour les grosses agglomérations et les milieux sensibles. »

Cette question de l’énergie, ainsi que celle des émissions de gaz à effet de serre (GES), sera certainement abordée dans la nouvelle version de la Deru : selon les cas, la collecte et le traitement des eaux usées consomment entre 1 % et 8 % de l’énergie d’un État membre. « Si l’Union européenne veut arriver à la neutralité climatique en 2050, le secteur de l’eau devra faire des progrès, a averti Michel Sponar. Nous envisageons d’abord un renforcement de la surveillance des émissions de GES dans les réseaux et les usines de dépollution, puis dans un deuxième temps des limitations d’émissions. »

Un autre sujet délicat, qui était devenu très sensible peu de temps après la publication de la directive originelle, est le devenir des boues d’épuration : certains États membres en ont interdit la valorisation en épandage agricole, tandis que d’autres comme la France y sont très attachés.

Évaluation de la directive boues de 1986

L’orateur ne s’est fait aucune illusion sur les arrières-pensées de certains : « Nous voyons bien le lobbying des fabricants d’incinérateurs. Cette technique permettrait d’optimiser la récupération du phosphore, mais elle ne respecte pas la hiérarchie du traitement des déchets. Nous pensons qu’il faut défendre la valorisation agricole, mais que les normes qui l’encadrent ne sont pas assez strictes. Donc nous travaillons en cohérence avec mes collègues qui sont en train d’évaluer la directive boues du 12 juin 1986. Ce que nous pourrons faire sera d’éviter au maximum la contamination de ces boues. »

Quant au dernier des nouveaux défis, il découle directement de l’actualité : « Depuis le début de l’épidémie de Covid-19, la recherche des variants du virus dans les eaux usées a été un exemple de la contribution de l’assainissement à la politique de santé publique. Cela ouvre de nouvelles perspectives, et nous envisageons donc que certains paramètres liés à la santé soient désormais mesurés en permanence dans les eaux usées. Mais il faudra déterminer qui paiera. »

La réflexion de la Commission sur la révision de la Deru porte aussi sur des questions transversales, à commencer par la transparence sur les performances des systèmes d’assainissement : il est question de la renforcer dans de nombreux domaines comme l’efficacité du traitement des eaux, les coûts, les émissions de GES et l’utilisation de l’énergie.

Dans une logique voisine, l’Union européenne constate que ceux des États membres qui bénéficient de fonds européens pour appliquer cette directive ne sont pas toujours exemplaires. Elle prévoit de leur demander à l’avenir des plans de financement clairs et des priorités définies, pour éviter des investissements non prioritaires.

Impact de la révision sur le prix de l’eau

Parmi les autres réflexions transversales de la Commission, on relèvera l’accès à l’assainissement des populations vulnérables, dans le prolongement de la révision de la directive eau potable ; les surcoûts résultant de la révision de la Deru, leur répartition et leur impact sur le prix de l’eau ; la responsabilité des producteurs de micropolluants, afin de faire payer les producteurs de médicaments et de cosmétiques ; la mise à jour des textes et des normes d’application de la Deru ; et une définition plus précise de la notion de zone sensible, en distinguant les zones de captage, de baignade, de conchyliculture et de protection de l’environnement.

Un texte attendu pendant la présidence française

Michel Sponar a enfin abordé le calendrier de la révision : une conférence finale est prévue le 25 octobre pour fixer les grandes lignes de la proposition de la Commission, puis viendra la rédaction du texte lui-même, qui devrait aboutir vers mars ou avril 2022, donc pendant la présidence française de l’Union européenne. « En général, a-t-il rappelé, la Commission présente une proposition assez ambitieuse, et ensuite nous discutons avec le Conseil et le Parlement européen. » Ce qui permettrait d’envisager une publication dans un peu plus d’un an.

Si la procédure législative ne prévoit pas la participation explicite des États membres, ceux-ci n’ont pas été laissés de côté. « La Commission a commencé à les consulter, et nous avons déjà échangé avec elle sur les sujets qui nous semblent importants », a précisé Emmanuel Morice, chef du bureau de la lutte contre les pollutions domestiques et industrielles au ministère français de la transition écologique.

La France a fait connaître ses priorités

Michel Sponar a confirmé ces discussions : « Nous avons élaboré un état des lieux dans chaque État membre, qui est très instructif et que nous allons peut-être publier. Nous essayons de nous inspirer des meilleurs exemples partout, dont la France ; en particulier, son approche par bassin est vraiment intéressante. Mais il y a des idées qui sont inapplicables dans certains États membres. Et en fin de compte, si notre texte ne fait plaisir à personne, c’est que ce sera un bon texte. »

René-Martin Simonnet

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