Rachat éventuel de Suez par Véolia

Question de Serge Babary, sénateur (LR) d’Indre-et-Loire :

Le groupe Véolia, leader mondial des services de gestion de l’eau, des déchets et de l’énergie, s’est lancé dans une opération agressive de rachat de son grand rival français, Suez. Après deux tentatives sans lendemain en 2006 et 2012, le groupe Engie a accepté de lui vendre ses parts dans Suez. Cette initiative hostile interroge, d’abord parce que l’argument qui consiste à vanter la création d’un géant mondial est très relatif : réunies, les deux entreprises représenteront moins de 5 % du marché mondial. La France a deux grands groupes sur ce marché ; demain, elle n’en aura plus qu’un.

Un fonds de pension est-il capable d’une vision stratégique à long terme ?

L’opération ressemble plus au dépeçage d’une entreprise qu’à l’addition de deux groupes. Quel sera le sort des 30 000 collaborateurs de Suez en France ? Enfin, cette opération va limiter la concurrence sur ces marchés. Quoi de plus stimulant que d’avoir deux acteurs importants en concurrence frontale ? Ce secteur est connu pour présenter déjà des niveaux de concentration élevés. Est-il raisonnable d’aller plus loin ? Est-il raisonnable de faire intervenir un fonds de pension dans un marché où la vision stratégique à long terme est essentielle ?

Face à ces questions, où est l’État ? Comment compte-t-il faire pour que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets délétères sur l’emploi que dans d’autres fusions industrielles ? Pourquoi le Premier ministre, le 3 septembre, s’est-il enthousiasmé pour ce rachat, évoquant un mariage qui « fait sens » ?

Question de Thierry Cozic, sénateur (SER) de la Sarthe :

Ce qui s’est passé au conseil d’administration d’Engie, à propos de l’acquisition de Suez par Véolia, est un camouflet sans précédent sous la Ve République. En temps normal, cet événement aurait dû déclencher un séisme et une réaction immédiate de l’État actionnaire. Comment peut-il accepter d’être mis en minorité de cette façon sur une question aussi importante ?

Quelle étrange situation : le premier actionnaire d’un groupe, qui en nomme le président, n’est pas capable de se faire entendre… Nous pourrions presque en sourire, si la situation que votre immobilisme a créée n’était pas si grave : 10 000 emplois vont être détruits dans le monde à la suite de ce rachat.

À l’heure où la gestion de l’eau et des déchets présente des enjeux capitaux sur les plans économique, social et écologique, comment laisser une entreprise privée se retrouver dans une situation de quasi-monopole, privant ainsi les élus locaux de la possibilité de faire jouer la concurrence ? Cette opération à la hussarde entraînera les mêmes résultats que les précédentes : la disparition d’un groupe français et la fragilisation du second.

Réponse du ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises :

Véolia et Suez sont deux champions français du traitement des déchets et de la gestion de l’eau, présents partout dans le monde. Nous ne pouvons pas accepter qu’ils se livrent une guerre en plein cœur de l’une des crises économiques les plus graves qu’ait traversées le pays. Nous avons besoin au contraire que ces deux industriels prennent le temps de se parler et d’échanger sur un projet qui soit accepté par toutes les parties.

Pour être un succès pour eux comme pour leurs clients et leurs salariés, cette opération ne devait pas être réalisée en force et dans la précipitation. L’État a fixé des conditions. La pérennité de l’emploi tout d’abord, alors que les salariés de Suez, notamment plus de 30 000 employés en France, ont été en première ligne durant la crise pour garantir le bon fonctionnement des services publics essentiels, comme le traitement des déchets ou l’accès à l’eau.

La logique industrielle ensuite, notamment en s’assurant que les acteurs susceptibles de reprendre les activités de Suez en France sont crédibles, robustes et engagés à long terme. Il n’est pas question que cette opération soit le prélude à une perte de souveraineté dans des secteurs sensibles et stratégiques. Enfin la préservation d’une offre concurrentielle et de qualité pour remplir les missions essentielles qui relèvent de la compétence de ces entreprises est également soulignée, ainsi que l’intérêt patrimonial de l’État, actionnaire d’Engie.

Tels sont les critères qui ont guidé le choix de l’État au conseil d’administration d’Engie. Faute d’accord entre Suez et Véolia, l’État ne pouvait pas valider cette cession, qui n’était pas acceptée par certaines des parties prenantes, notamment par les salariés de Suez.

Les administrateurs d’Engie n’ont pas suivi notre position, et nous le regrettons. Nous insistons pour que les dirigeants de ces entreprises s’entendent : c’est dans l’intérêt de leur entreprise, des salariés de Suez et des collectivités territoriales, pour lesquelles ces entreprises assurent un service public essentiel. Nous resterons vigilants sur la suite des événements.

JO Sénat CR, 15 oct. 2020, pp. 7447 et 7448.

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