o Éditorial : Suffisance bornée

Une leçon qu’il serait bon de retenir de la pandémie actuelle, c’est que la classe politique et l’administration ne sont pas infaillibles ; mais je ne suis pas sûr qu’elles soient prêtes à l’admettre. Pourtant, elles ont commis au moins trois erreurs évitables, dont deux ont eu des conséquences graves sur la santé des Français. Dans chacun de ces cas, les responsables ont d’abord assuré avec une suffisance bornée qu’ils prenaient la bonne décision, puis ils ont radicalement changé d’avis au bout de quelques semaines ou de quelques mois. Mais ne vous attendez pas à ce qu’ils reconnaissent leurs erreurs. Peut-être le feront-ils dans leurs mémoires, le jour où ils n’auront plus rien à craindre de l’opinion publique.

La première erreur concerna les masques. Au début de la pandémie, alors que tout le monde savait déjà que le virus se transmettait par voie aérienne, plusieurs ministres ont répété à l’envi qu’il était tout à fait inutile de porter un masque, sauf peut-être pour le personnel soignant. La réalité était que la France n’avait ni renouvelé ni même conservé son stock stratégique de masques médicaux. Et comme les fournisseurs chinois étaient à l’arrêt et que les capacités françaises de production étaient proches du néant, il fallait s’arracher dans les aéroports les rares palettes de masques destinées aux pays riches.

Si les responsables avaient été honnêtes, ils auraient alors dit aux citoyens : « Nous avons été imprévoyants, mais faites votre possible pour vous protéger par tous les moyens, en fabriquant vos propres masques en tissu, en utilisant des masques de chantier ou simplement en couvrant votre nez d’une écharpe ou d’un foulard. » Ce n’aurait été qu’un pis-aller, mais la première vague aurait sans doute été moins terrible ainsi.

La deuxième erreur a porté sur le lancement de la vaccination. J’en ai déjà parlé. Je rappellerai simplement que la Haute Autorité de santé avait recommandé, le 3 décembre 2020, de vacciner en priorité les résidents des maisons de retraite, mais que rien n’était prêt quand les premiers vaccins sont arrivés, le 27 décembre. C’est seulement le 8 janvier 2021 que la campagne de vaccination a vraiment démarré, après une remontrance du Président de la République en personne. Douze jours de retard, à ce moment, cela a signifié près de 4 000 morts en plus durant les semaines qui ont suivi. On attend toujours les excuses du ministre des solidarités et de la santé à ce sujet.

La troisième erreur est moins grave, mais encore plus humiliante pour les autorités françaises. Elle concerne le suivi du virus dans les eaux usées. Dès le début de la pandémie, plusieurs pays l’ont mis en place, afin de déterminer au plus vite quelles parties de leur territoire risquaient de connaître une flambée des cas et d’avoir besoin de renforts sanitaires. Les exploitants des stations d’épuration françaises ont proposé aux ministres concernés de faire de même, ce qui était facile à mettre en place : il suffisait d’ajouter un paramètre aux analyses des eaux usées et de centraliser les résultats. C’est inutile, ont répondu les ministres. Les exploitants et les chercheurs ont donc créé seuls un observatoire ad hoc, le réseau Obépine.

Mais le 19 mars 2021, la Commission européenne a publié une recommandation invitant instamment les États membres à surveiller la présence du SARS-CoV-2 dans leurs eaux usées. Qu’a fait la France ? Pas grand-chose pour commencer : l’État a versé en août une subvention au réseau Obépine qui s’est transformé en groupement d’intérêt scientifique en octobre.

C’est seulement le 16 décembre dernier qu’un discret communiqué de presse a annoncé la désignation d’un laboratoire de référence pour la surveillance du virus dans les eaux usées et les boues d’épuration. Il s’agit du laboratoire d’hydrologie de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, qui sera notamment chargé d’harmoniser les méthodes de détection du virus et d’évaluer les capacités des laboratoires engagés dans cette opération. Mieux vaut tard que jamais, certes, mais nous avons ainsi perdu un an et demi à cause de la suffisance bornée de quelques (ir)responsables politiques et administratifs.

René-Martin Simonnet

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