Éditorial : Trop compliqué ?

Si l’on en croit le plan Eau de 2023, la France doit développer la réutilisation des eaux usées traitées. Mais à lire les arrêtés des 14 et 18 décembre 2023, on peut se demander s’il s’agit là d’un véritable objectif ou simplement d’un vœu pieux. Leur complexité technique risque en effet de rebuter les gestionnaires de petites stations d’épuration et les exploitants agricoles. Dans un pays où la ressource naturelle en eau reste abondante, les acteurs de l’arrosage et de l’irrigation préféreront sans doute continuer à exploiter cette ressource, à développer autant que possible les réserves de substitution et, en cas de sécheresse, à faire le gros dos en attendant le retour de la pluie. Au-delà de quelques situations particulières, il faudra vraiment un changement climatique considérable pour que la réut se développe en France dans un cadre réglementaire aussi contraignant.

Les europhobes et les démagogues imputeront cette complexité au règlement (UE) 2020/741 du 25 mai 2020. En réalité, elle résulte des enjeux multiples et contradictoires que présente cette pratique en matière de santé humaine et animale, d’environnement et d’équilibre économique. Santé : éviter avant tout la contamination microbienne et chimique des utilisateurs de ces eaux, des passants, des riverains et des usages sensibles de l’eau à proximité, du public en général et des consommateurs des aliments ainsi produits. Environnement : réduire les prélèvements dans la ressource en eau sans supprimer le soutien d’étiage que constituent les rejets de nombreuses stations d’épuration, et éviter la dissémination de polluants et, plus encore, leur accumulation dans les sols. Économie : parvenir à un niveau de traitement assez élevé pour remplir les objectifs précédents, tout en visant le surcoût le plus faible possible pour cette pratique structurellement déficitaire.

N’en déplaise aux europhobes et aux démagogues, la complexité du règlement du 25 mai 2020 est en réalité une aubaine pour les agriculteurs et les consommateurs français, parce qu’elle impose les mêmes normes sanitaires à tous les irrigants européens. Ce n’est pas un hasard si les champions européens de la réut, l’Espagne et l’Italie, avaient tout tenté pour éviter un tel texte : leurs exigences sanitaires étaient très inférieures à celles qu’on retrouve dans les présents arrêtés. Elles ont tout de même obtenu un lot de consolation : ce règlement n’a pas abordé la question du financement, ce qui leur permettra de continuer à subventionner largement ces équipements et ces traitements. Sur ce point, la France n’a pas prévu de leur emboîter le pas, mais les groupements de communes pourront contribuer à ces projets peu rentables, moyennant sans doute une augmentation de la part assainissement de la facture d’eau. Ça, au moins, c’est facile à comprendre.

René-Martin Simonnet

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