o Éditorial : Armistice ?

Pour l’instant, il n’y a qu’un gagnant dans la tentative de rachat de Suez par Véolia : Engie, qui a vendu au second la quasi-totalité de sa participation dans le premier, à un prix très confortable. Il y a aussi un perdant assuré : l’État, qui s’est révélé incapable de maîtriser cette partie de bonneteau industriel. Bien qu’il soit toujours le premier actionnaire d’Engie, jadis Gaz de France, il n’a pas pu empêcher son conseil d’administration de voter cette vente. Et les deux frères ennemis, Véolia et Suez ? Eh bien, à ce jour, leurs patrons respectifs, Antoine Frérot et Philippe Varin, sont comme deux chats de Schrödinger : dans un état indéterminé entre la victoire et la défaite. Le premier groupe a certes gagné la première manche, en acquérant 29,9 % du capital du second ; mais ce dernier est parvenu à bloquer la suite de l’opération.

Cette situation ne peut durer indéfiniment. Un groupe d’envergure mondiale ne peut pas rester actionnaire d’un autre groupe d’envergure mondiale qui est son concurrent direct dans les domaines de l’eau et des déchets. Jusqu’à présent, seul Antoine Frérot avait proposé deux pistes pour en sortir : laisser Véolia acquérir le reste du capital, ce que Philippe Varin a catégoriquement refusé ; ou porter à la tête de Suez des administrateurs favorables à cette fusion, ce qui semble à la fois agressif et incertain. De son côté, son concurrent avait échoué à trouver à temps un repreneur des parts d’Engie, et il n’a pu que bloquer toute évolution depuis trois mois.

Mais voici que Suez a annoncé, le 17 janvier, qu’il était prêt à engager des discussions avec Véolia, qui de son côté le lui avait proposé dès le 7 janvier. Le feuilleton est-il terminé ? Rien n’est moins sûr, et ce n’est pas la première fois que les deux groupes prennent langue, mais ces négociations ont toutes tourné court, y compris ces derniers mois. La principale différence, à présent, c’est que Suez a trouvé deux investisseurs prêts à l’épauler : le fonds français Ardian et son homologue américain Global Infrastructure Partners (GIP). Son directeur général, Bertrand Camus, peut donc proposer une « solution amicale et concertée », parce qu’il est en meilleure position pour négocier.

Antoine Frérot a répondu sur-le-champ qu’une telle solution ne pouvait passer par le rachat des parts de Véolia dans Suez, même au prix où il les a payées, c’est-à-dire 18  l’action. Or cela semble être le but essentiel de Bertrand Camus, si l’on parvient à comprendre à demi-mot ses déclarations alambiquées. Est-ce un retour à la case départ ? Pas sûr. Le capitalisme à la française excelle dans l’art des compromis longuement négociés. Sauf coup de théâtre, comme un renversement des administrateurs de Suez lors de la prochaine assemblée générale, les deux groupes vont maintenant se lancer dans des tractations complexes et discrètes. Elles seront certainement suivies de près par l’État, qui aura l’occasion de redorer son blason, et par les élus locaux, qui sont très attachés à la préservation d’une concurrence frontale sur le territoire français. Les positions de départ sont toutefois très éloignées, et le résultat final est donc incertain.

René-Martin Simonnet

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